Cinéast(e)s

Cinéast(e)s
Envoyer à un ami Imprimer la page Accéder au forum Notez ce film
Cinéast(e)s
France, 2014
De Mathieu Busson, Julie Gayet
Durée : 1h13
Note FilmDeCulte : ***---
  • Cinéast(e)s
  • Cinéast(e)s

Agnès Varda, Géraldine Nakache, Valérie Donzelli … Une vingtaine de réalisatrices françaises tentent de répondre à la question : existe-il un cinéma au féminin ? D’abord étonnées, elles livrent pourtant des anecdotes, des réflexions, des coups de gueule face à la suprématie des hommes. Une plongée passionnante dans un milieu bien sous tous rapports.

BANDE DE FILLES

Le moins que l’on puisse dire, c’est que lors de la présentation de leur film au Festival Paris Cinema, Julie Gayet et son coréalisateur Mathieu Busson ont fait preuve d’une humilité tenace. Humilité face à un thème tellement vaste et propice aux clichés (« un sujet qui n’en est pas un ») que faire un film dessus était selon eux-mêmes « une très mauvaise idée ». Un ras-le-bol partagé à l’image par les réalisatrices interrogées, toutes promptes à demander avec humour à « enfin passer à autre chose ». Une humilité que l’on retrouve dans la forme de Cinéast(e)s, reportage de commande effectué pour la télévision, simple assemblage d’interviews sans voix-off, où la paire de réalisateurs se retire derrière leurs intervenantes. Leur première bonne idée réside d’ailleurs dans le panel interrogé, outre des professeures de cinéma et des étudiantes de la Femis, le film interroge aussi bien des réalisatrices identifiées comme « auteurs » et/ou féministes, que des cinéastes ultra populaires. Des plus jeunes aux plus âgées, de Géraldine Nakache à Agnès Varda. Si chacune s’en sort plus ou moins bien (dans leurs propos comme dans leurs films, certaines sont moins subversives et pertinentes que d’autres), cet éclectisme est déjà enthousiasmant.

Et pourtant, parallèlement, cet éclectisme démontre par l’absurde le côté très vain qu’il y a à vouloir regrouper en une même famille ces artistes sous le prétexte de leur sexe. On renvoie encore trop souvent les minorités à la spécificité de leur identité, rappelle une universitaire. De fait, malgré un chapitrage sous forme de questions (un plan peut-il être typiquement féminin ? Avez-vous subi du sexisme de la part de votre équipe technique ?), l’ensemble part un peu dans tous les sens. Certains passages n’évitent pas toujours les lieux communs (il faut souffrir pour faire un film, être mère et travailler ce n’est pas facile, l’autorité peut être féminine….) et parmi les passages attendus, on retrouve l’admiration partagée pour Jane Campion ou pour Kathryn Bigelow. Même si sur cette dernière, le point de vue le plus pertinent vient ici d’un homme : Reda Kateb vient confirmer qu’en dépit des idées reçues, le cinéma de Bigelow est bel et bien féminin de par le regard de femme qu’elle pose sur des histoires d’hommes et de virilité. On entend ici à plusieurs reprises que l’art n’a pas de sexe. Mais le sexe n’est pas le genre, et à force de s’en approcher, on aimerait que le reportage ose s’engouffrer clairement sur cette piste passionnante.

De genre ou même de féminisme, il est pourtant ici curieusement peu question. Le mot « féminisme » n’est d’ailleurs clairement énoncé et assumé que par Agnès Varda et Céline Sciamma. Et quand cette dernière rappelle que des films de réalisatrices peuvent être involontairement misogynes, on ne peut s’empêcher de penser aux comédies de certaines autres cinéastes citées ici (suivez notre regard)… A l’heure où les comédies françaises féminines ont d’ailleurs un mal fou à se positionner clairement sur le sujet (il suffit de voir le casting de Sous les jupes de filles se dépatouiller dans les médias à ce propos), la question est curieusement laissée de côté. C’est pourtant lorsqu’on lance le sujet de la polémique sur le nombre de réalisatrices en compétition à Cannes que les langues se délient enfin le plus, que se dessinent des points de vue plus affirmés. Deux hypothèses parmi les plus intéressantes : Pour Pascale Ferran, le formalisme classique que l’on retrouve encore souvent à Cannes serait une sorte de maniérisme exclusivement masculin (dans le sens où jusqu’ici, aucune réalisatrice ne filme comme cela), tandis que pour Mia Hansen-Love, les choix cannois notamment en terme de films dits de genre (western, polars) traduiraient encore aujourd’hui une fascination pour la virilité et un recours trop systématique à la violence physique comme seul moyen d’être percutant, là encore une attitude exclusivement masculine. Comme quoi, tel Monsieur Jourdain et sa prose, Cinéast(e)s est bien un film qui parle du gender sans s’en rendre compte ! Et c’est bien là que l’ensemble devient le plus intéressant : lorsqu’au détour de la conversation, certaines cinéastes lâchent enfin l’air de rien des idées réellement alternatives. Des théories qui mériteraient souvent une analyse poussée, un film entier.

par Gregory Coutaut

En savoir plus

Photo © Bertrand Jacquot

Commentaires

Partenaires