Chambre 212
France, 2019
De Christophe Honoré
Scénario : Christophe Honoré
Avec : Benjamin Biolay, Camille Cottin, Vincent Lacoste, Chiara Mastroianni
Photo : Rémy Chevrin
Durée : 1h27
Sortie : 09/10/2019
Après 20 ans de mariage, Maria décide de quitter le domicile conjugal. Une nuit, elle part s’installer dans la chambre 212 de l’hôtel d’en face. De là, Maria a une vue plongeante sur son appartement, son mari, son mariage. Elle se demande si elle a pris la bonne décision. Bien des personnages de sa vie ont une idée sur la question, et ils comptent le lui faire savoir.
LE TEMPS DETRUIT TOUT
Il était une fois un couple, un couple de quasi quinqua bloqué dans une certaine routine, une certaine rengaine, une certaine habitude. Il était une fois Maria, qui se fait parfois volage pour mieux pérenniser son histoire avec Richard, ce preux chevalier d’un autre temps. Il était une fois un appartement et une chambre d’hôtel devenus décor de théâtre d’un tourbillon de la vie où une femme et un homme se sont connus, se sont reconnus, se sont perdus de vue, se sont reperdu de vue (reste à savoir si à la fin du film ils se seront séparés ou retrouvés). Il était une fois l’histoire de ces deux-là que le conteur Christophe Honoré (Les Bien-aimés, Plaire, aimer et courir vite) est venu nous narrer sur un ton dont lui seul a le secret. Car oui, ce qui pourrait, sur le papier, s’apparenter à un nouveau drame dans un deux-pièces cuisine (pour reprendre le cliché ultime sur la description du cinéma hexagonal) se transforme très vite en un vaudeville et en une fable romantique libre et élégante, une fantaisie au ton doux-amer, une fable romanesque intemporelle cachée sous des apparats de quasi pièce de boulevard. Car oui, le stakhanoviste Honoré fait preuve d’une remarquable habileté dans sa conception théâtrale de l’affaire, que ce soit sur le plan narratif (l’enchevêtrement des scènes passées/présent est d’une rigueur exemplaire), sur celui de la mise en scène (son huis clos, Honoré arrive à la composer à travers deux décors aussi opposés que complémentaires et liés par une rue de tous les possibles) ou sur le plan musical (on s’attends à plusieurs moments voir débarquer une scène de chant/danse comme l’affectionnait Jacques Demy). Un joli coup de maître qu’un quatuor de comédiens, tous plus à l’aise que jamais, fini d’emballer en jouant la partition du chef d’orchestre, du maitre enchanteur. On pourra toutefois noter un rythme en dents de scie ainsi que quelques zones de remplissage pas forcément essentiels (comme la scène en Baie de Somme) qui empêchent le long-métrage d’accéder à de plus hautes louanges, mais l’ensemble reste suffisamment généreux, inventif, touchant et poétique pour ne pas s’attarder sur ces menus défauts. Et l’on préfèrera garder en mémoire le souvenir d’une œuvre symbolique et atonale, une entreprise qui mélange passé et présent, fantasme et réalité avec une fluidité exemplaire, une fiction qui arrive à s’amuser de l’usure du couple et de l’adultère avec une légèreté quasi sans failles, bref un film rare mais qui ne tombe pas dans l’élitisme. Et c’est suffisamment inhabituel pour se permettre de ne pas passer à côté.