Ces rencontres avec eux
 |
 |
 |
 |
Notez ce film |
Quei loro incontri
Italie, 2006
De Danièle Huillet, Jean-Marie Straub
Scénario : Danièle Huillet, Jean-Marie Straub
Avec : Andrea Balducci, Angela Durantini, Romano Guelfi, Angela Nugara, Grazia Orsi, Vittorio Vigneri
Durée : 1h08
Sortie : 18/10/2006
Les cinq derniers Dialogues avec Leucò de Cesare Pavese.
LE RETOUR À LA TERRE
Vingt-sept ans après De la nuée à la résistance, Jean-Marie Straub et Danièle Huillet reviennent aux Dialogues avec Leucò de Cesare Pavese, afin de retranscrire, par les moyens du cinéma, la splendeur désuète des cinq derniers dialogues. "Toujours la même chose: les hommes créent les dieux (ou les ouvriers les patrons, les acteurs les spectateurs) et en retour ces dieux les dépossèdent de leur monde, le leur rendent étranger, le leur aliènent", écrivait Daney du film de 1979. La formule vaut-elle toujours? Les dieux parlent des hommes, encore. Cette fois, ils sont fatigués. Las. Nous tournent le dos, économisent leurs mouvements, plantés solidement dans l'herbe, assis sur une souche, posés contre un rocher… Mouvement des mots, mouvement du monde, versus immobilité des corps divins — corps simples, certes, mais proprement humains, donc proprement divins. Voici donc des dieux parlant dans des corps d'hommes, en un temps hors du monde, un mouvement immobile de retour à la terre, à la nature, écrasante, omniprésente, personnage à elle seule, envahissant de vert un cadre ciselé. Calme, apaisement. Berceuse du temps et de l'espace.
VERS L'INFINI ET AU-DELÀ
Berceuse: Ces rencontres avec eux est en effet question de rythme. Fourmillement des taches de lumière entre les frondaisons, sur la photo sublime de Renato Berta, clapotis et chants glissant, sur une tessiture sensible, au rythme des aléas du monde — l'envol d'un oiseau, exemplairement… Rythme des voix, surtout: scansion du texte aménagée au fil des respirations intimes, diction contre la syntaxe mais pour la grammaire, tapis de son contre tapis de sens. Film de langueur estivale, Ces rencontres avec eux alanguit aussi le spectateur, qui balance entre lire et écouter, et le laisse à sec, au dépourvu. Vidé de toute espèce d'artifice (Straub et Huillet ont abandonné les déguisements antiques d'Othon), le film se déroule donc sèchement, marquant ses silences et ses coupes d'un sceau parfois plombant. Imposant, Ces rencontres avec eux finit par écraser. Et lorsqu'enfin, en un dernier plan extatique, la caméra s'éveille pour s'élever en plusieurs temps, la torpeur s'efface. En écho, c'est étonnant, à un autre plan final marquant de l'année, celui du Voyage en Arménie (auquel Renato Berta n'était pas étranger): à nouveau, une montagne isolée sur fond de ciel, cohabitant avec le monde des hommes via une ligne. Chez Guédiguian, il s'agissait de la diagonale d'une grue, possibilité d'ascension: les hommes iront vers le ciel, s'ils s'en donnent les moyens — mais l'Ararat décrit relevait de la légende. Chez Straub et Huillet, c'est l'horizontale d'un câble, qui stoppe le travelling et empêche l'ascension : les hommes se sont coupés du ciel — et ce sommet est bien réel. Vingt-sept plus tard, on ne rêve plus: les hommes se sont dépossédés du monde des dieux.
