Panorama: Casting JonBenet
A Noël 1996, JonBenet Ramsey, mini-reine de beauté de 6 ans, est retrouvée sans vie dans la cave de son domicile. Le documentaire Casting JonBenet revient sur cette histoire. La réalisatrice, l'Australienne Kitty Green, a passé 15 mois dans le Colorado où la fillette a vécu et où elle est morte, afin de chercher des réponses, susciter des réflexions, investissant la mémoire collective comme la mythologie inspirée par ce crime.
JONBENET : FIRE WALK WITH ME
Mais qui a bien pu tuer JonBenet Ramsey ? C’est précisément la question à laquelle Casting JonBenet ne veut pas répondre. Le documentaire de l’Australienne Kitty Green n’est en rien un épisode de Faites entrer l’accusé taillé pour le cinéma. Sa démarche est tout autre : en effectuant un travail à mi-chemin entre le documentaire et la fiction, Green prend du recul pour observer le fait divers et sa répercussion sur l’inconscient collectif.
Le meurtre horrible de la mini-Miss de beauté JonBenet Ramsey, en 1996, a été très largement commenté – notamment outre-Atlantique. Le mystère qui a entouré (et entoure toujours) ce crime suscite une fascination morbide qui a fait son chemin jusqu’à la culture populaire. Joyce Carol Oates, dans un de ses meilleurs romans (Petite sœur, mon amour), s’inspire de cette histoire pour faire le portrait d’une Amérique malade aux rêves toxiques. C’est là le postulat de Casting JonBenet : comment un fait divers passe, au fil des années, d’une une de journal à un mythe, jusqu’à faire naître mille légendes urbaines. Comment les commérages du café du commerce (tout le monde dans le film a une idée sur le tueur) témoignent d’une appropriation, et aboutissent à une fictionnalisation du réel. La petite JonBenet n’est plus, mais à l’image de ses extravagants costumes de Miss qui la transforment en cow-girl fantasmée, elle est devenue un personnage de fiction. C’est à ce fascinant vertige que la réalisatrice s’intéresse, lorsque l’enfant objectifiée, transformée en étrange poupée… est réellement devenue, après sa disparition, une poupée avec laquelle tout le monde joue.
Vingt ans après, JonBenet semble toujours autant hypnotiser. On croit parfois entendre parler d’une Laura Palmer dont le mystère trouble et ensorcelle depuis encore plus longtemps… sauf que Laura Palmer est un personnage de fiction. Qu’à cela ne tienne, Green organise un casting pour recréer les faits autour de JonBenet. Elle passe en revue les acteurs qui, comme on l’a dit, ont chacun un point de vue sur la question. « People are quick to judge », regrette une des comédiennes. Personne ne se privera. Il y a une part de mauvais goût dans des scènes horriblement drôles où l’on parle des choses les plus sinistres avec le moins de complexe et de pudeur. Mais le cas JonBenet, c’est aussi cela : un rêve américain en toc qui tourne au cauchemar d’une laideur parfaitement vulgaire, une obsession malade des apparences où les enfants sont transformés en objets crypto-pédophiles. L’histoire de JonBenet, c’est The Neon Demon, vingt ans avant le film d’horreur de Nicolas Winding Refn.
Dans une autre mise en abyme réservée par le film, les participants au casting sont comme le reflet déformés de ce dont ils parlent. Le cas JonBenet, c’est un rêve rose-bonbon qui s’abime, un mélange de naïveté de conte de fées et de cynisme monstrueux, une difformité très américaine, cheap et de mauvais goût. Le casting, lui, passe en revue… des ex-Miss des années 80, un éducateur sexuel qui joue occasionnellement la comédie, un garçon qui malgré son jeune âge est déjà habitué à être rejeté à pratiquement tous les castings qu’il passe. On rejoue les scènes, souvent mal, comme une ultime déformation grotesque du fait divers initial. Certains gamins chuchotent comme Nicole Kidman, d’autres surjouent lamentablement comme Jennifer Aniston… Ce qui pourrait être un outrage parvient à composer un portrait humain absurde, entre rire et malaise, échappé d’un délire de Charlie Kaufman : cette multitude de sosies de JonBenet assises l’une à côté de l’autre, cette maison Ramsey reconstituée avec le couple parental dupliqué à l’infini – autant de duplications qu’il y a d’interprétations du drame.
Dans son dernier segment, le film délaisse le grand-guignol et laisse davantage de place aux acteurs qui se confient – sur leur deuil personnel, leur maladie. Le cas JonBenet retrouve sa fonction de conte, un récit initiatique dans lequel chacun se projette, pour un simple rôle – trouver le bon pull, le bon collier à perles – ou pour une raison plus profonde, enfouie dans l’inconscient. Kitty Green explore avec une grande audace ce qu’un fait divers, enfoui au fin fond du Colorado, peut encore, des années et des années plus tard, révéler sur le monde.