Ça brûle

Ça brûle
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Ça brûle
France, 2006
De Claire Simon
Scénario : Jérôme Beaujour, Claire Simon, Nadège Trébal
Avec : Jean-Quentin Chatelain, Marion Maintenay, Gilbert Melki, Kader Mohamed, Morgane Moré, Camille Varenne
Durée : 1h51
Sortie : 16/08/2006
Note FilmDeCulte : *****-

Livia habite dans le Var, a un cheval, est en colère. L'histoire de l'amour exalté d'une adolescente de 15 ans pour un homme du pays : Jean, 37 ans, instituteur, pompier volontaire, marié et père de deux enfants. C'est le début des vacances et de l'éternité de l'été.

A BÂTONS ROMPUS

Elle les mène à la baguette. Allez me chercher des bâtons. Il y en a partout dans la cour, vous ne pouvez pas les manquer. Ramenez-les moi, vite. Moi je ne bouge pas d'ici, je vous regarde faire. Elle collecte les précieuses brindilles, sise fièrement sur son pouvoir tyrannique. Voilà, elle en a suffisamment. Tout le monde s'est appliqué, elle est satisfaite. Alors elle jette les bâtons par terre: à quoi lui serviraient-ils, désormais? Cette séquence terrifiante de petite dictature du quotidien, figure dans un des plus beaux films de Claire Simon, le justement nommé Récréations, documentaire vieux de quatorze ans déjà et pourtant indémodable. La cinéaste avait posé sa caméra dans la cour d'une école maternelle et avait laissé se dévoiler, avec une simplicité et une évidence désarmantes, les rapports de force, esclavagismes enfantins et bassesses censément ludiques, en fait d'une humanité et d'une banalité effarantes. La Livia de Ça brûle (la révélation Camille Varenne, formidable de brusquerie indécise) pourrait être cette petite fille aux bâtons, une dizaine d'années plus tard. Même plaisir à embobiner autrui, à lancer sur des fausses pistes, à tester son pouvoir. Mais à quinze ans, le prétexte ludique n'a plus cours. Et le monde a tourné: Livia n'est pas la seule à avoir grandi, à criser l'adolescence. Gamine gâtée empêtrée dans un physique sauvage et rude, Livia rue dans les brancards avec maladresse et rage. Sauf que, maintenant, les actes ont des conséquences. Ceci sans compter ce qui brûle: les sens.

ÇA REMUE

Le refrain de la crise d'adolescence n'est pas neuf. Et l'on craint, à raison, de voir poindre, au coin du bois, toute la horde des clichés: amour saphique et/ou inter-âge, lassitude campagnarde, béatitude de l'évasion… Surprise, Simon ne les contourne pas. Les prend même à bras-le-corps, premier degré, pour mieux se les approprier en les plaçant à son rythme. Le mot est lâché: Ça brûle fait avant tout rythme — secoué, remué, agité, toujours en mouvement. L'amour impossible y cavale à couvert (épatante séquence de cache-cache sous les toits), l'ennui s'y combat par la course, l'évasion y galope en vent contraire… Kinésique en diable, la geste cinématographique de Simon accompagne les grandes enjambées de la narration et y adapte ses constructions scénographiques. En documentariste, Simon privilégie le découpage dans le plan par le cadre, conservant à la coupe une fonction majoritairement elliptique. Les mouvements de caméra et des corps dans l'espace, prennent donc le relais de la narration visuelle, avec une adresse confondante. Les variations d'échelle se font à l'intérieur même des plans-séquences, recomposant le réel au millimètre. L'ouverture nous renseigne ainsi d'emblée quant aux aptitudes narratives de la mise en scène à venir, nous faisant, l'espace d'un instant, passer Gilbert Melki pour un cheval parlant. Filmées à l'épaule mais sans improvisation, les séquences jouent en effet le jeu du dévoilement du hors-champ et de la spatialisation progressive: où sommes-nous dans ce gros plan? Passage en plan moyen: nous sommes ici. Plan large et/ou travelling: et plus précisément là.

LE GRAND INCENDIE

De cette souplesse visuelle découle l'autre tour de force du film, qui bascule aux deux tiers, sans heurt ni rupture, dans le documentaire. Et abandonne, pour un temps, ses personnages. Paradoxe troublant: les images documentaires apportent à Ça brûle sa part d'extraordinaire, de spectaculaire. Images de cataclysme, de fournaise monstre — de guerre? Les flammes, qui y crépitent comme d'imposants grillons, au gré d'un vent déchaîné, semblent prêtes à tout dévorer, le film et l'écran (ainsi que le générique, sourdant l'incandescence, nous y avait préparé), la fiction et ses personnages… Un hélicoptère muni d'une étrange pince, se balançant, tordue, dans l'épaisse fumée sombre, survole le brasier, convoquant autant les actualités télévisées de la pyromanie estivale, que les tripodes de La Guerre des mondes. Surréalisme, à l'évidence — et pourtant réel pur. A ce stade de Ça brûle, on se figure que Claire Simon, nous ayant fait perdre pied, ne parviendra pas à retomber sur ses pattes. Le feu est trop fort, le réel omnipotent. La tyrannie de la nature a pris le pas sur celle des hommes. On a tort: on a oublié que le départ de feu fut criminel. Un plan, virtuose, résoudra l'équation délicate du retour à la fiction. Logiquement, ce retour s'effectue lors d'une pause et, timidement, par l'arrière-plan et le biais d'un personnage secondaire. Au bord droit du cadre, exceptionnellement fixe, Amanda (parfaite Marion Maintenay), complice plus ou moins volontaire de Livia, fait une confidence inaudible aux flics, devant des véhicules à l'arrêt. Ceux-ci en prennent acte, font passer le message vers la gauche. Le mouvement est lancé: voici une silhouette d'homme, remontant en direction du premier plan, traçant une diagonale par la droite. Enfin on lit les traits de l'homme et on reconnaît Jean (Gilbert Melki, viril et crédible). La fiction est de retour, la caméra se ranime, le temps d'une résolution s'autorisant l'assomption dramatique. Et les battements de cœur. Pas étonnant qu'au dernier plan, le cadre, increvable, bouge encore: Ça brûle a du souffle et une sacrée santé.

par Guillaume Massart

En savoir plus

Ça brûle fut présenté à la Quinzaine des Réalisateurs, dans le cadre du Festival de Cannes 2006.

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