Buongiorno, Notte
Italie, 2003
De Marco Bellocchio
Scénario : Marco Bellocchio
Avec : Paolo Briguglia, Giovanni Calcagno, Pier Giorgio Bellocchio, Roberto Herlitzka, Luigi Lo Cascio, Maya Sansa
Durée : 1h45
Sortie : 04/02/2004
Rome, le 16 mars 1978, Aldo Moro, président du Parti Démocrate Chrétien Italien et favori aux prochaines présidentielles, est enlevé par les Brigades Rouges. Le 9 mai, il est retrouvé assassiné. Buongiorno, Notte tente de mettre des images, tantôt historiques, tantôt fictionnelles, sur ses cinquante-cinq jours de détention.
VINGT-CINQ ANS DE DEUIL
Pour tenter d’appréhender le petit phénomène médiatique qui a entouré Buongiorno, Notte lors de sa sortie en Italie, il faut comprendre dans quelle mesure la blessure ouverte par la mort d’Aldo Moro ne s’est jamais vraiment cicatrisée. Le climat de tension et de confidentialité absolue qui a entouré le tournage du film en est un indice loin d’être anodin. On peut également soulever une histoire de date (la sortie de Buongiorno, Notte coïncidait avec le 25e anniversaire de la tragédie), que l’on est en droit de trouver au choix audacieuse ou maladroite. Mais cela ne serait rien si les Brigades Rouges n’étaient que de l’histoire ancienne. Or, dans une Italie politiquement instable, le sigle BR ne relève pas uniquement du souvenir douloureux. Si le noyau historique du groupe originel s’est majoritairement dissocié de la lutte armée et que les actions menées contre l’organisation ont été marquées par plusieurs réussites avérées (voir la rafle de septembre 1988), l’amnistie réclamée n’est pas respectée de tous. Ainsi, les Brigades Rouges pour la construction du Parti Communiste Combattant (BR-PCC) sont, notamment, encore actives et virulentes. Et leurs exactions violentes trouvent de moins en moins de légitimation. Assassinats, terrorisme, attentats à la bombe, émaillent leur parcours récent et ne contribuent qu’à l’approfondissement du malaise politique italien. Aussi, dans un temps de réflexion sur l'expérience de la lutte armée telle qu'elle a été conçue et mise en œuvre par les Brigades Rouges, l’étonnant long métrage de Bellocchio ne pouvait tomber plus à propos.
L’ANTI-IMPERIALISME EST-IL UN HUMANISME?
Au vu du caractère explosif du matériau de base, les choix de Bellocchio ont de quoi surprendre. Par sa volonté de donner un visage aux cagoulés des BR et de faire naître l’empathie envers des personnages de fiction, aux actes condamnables, mais à l’humanité – certes factice parce qu’imaginaire – louable, Bellocchio avait conscience de se mettre en danger. Désireux de revisiter l’épicentre culturellement matriciel de l’histoire des BR, le vieux briscard du cinéma italien a opté paradoxalement pour une reconstitution volontairement bancale, aisément taxable de révisionnisme. Mêlant conformité documentaire (images d’archive, dates, connaissance quasi-exhaustive des événements, ressemblance physique entre le vrai Aldo Moro et l’acteur Roberto Herlitzka) et évasion fictionnelle, Buongiorno, Notte suit la voie d’alternance ouverte par la belle antinomie de son titre. Par un jeu subtil sur la musique (étonnante, tendue et dissonante), l’architecture et la construction des plans, Bellocchio homogénéise faits réels, broderies romanesques et fantasmes de drame onirique en un seul et même écrin. Au point que les séquences authentiques en viennent à sonner faux, parce que trop écrites, un rien emphatiques (voir la déchirante scène au Vatican, ou les rédactions des lettres), alors que les alternatives rêvées par la sceptique Chiara (troublante Maya Sansa) nous font perdre pied. Vertige de narration, justesse d’interprétation, inventivité scénographique: Buongiorno, Notte dépasse son strict intérêt historique pour s’affirmer pleinement sur un plan purement cinématographique. Une alchimie et un souffle qu’on n’avait pas ressentis depuis Nos Meilleures Années, de Marco Tullio Giordana. Une exception latine pas forcément enviable parce que motivée par un contexte détestable, mais certainement excitante d’un point de vue artistique.