Brown Bunny

Brown Bunny
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Brown Bunny
The Brown Bunny
États-Unis, 2003
De Vincent Gallo
Scénario : Vincent Gallo
Avec : Vincent Gallo, Chloë Sevigny, Cheryl Tiegs
Photo : Vincent Gallo
Musique : John Frusciante, Vincent Gallo
Durée : 1h30
Sortie : 07/04/2004
Note FilmDeCulte : ******
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Bud Clay erre en camionnette à travers les Etats-Unis. Son voyage est rythmé par ses rencontres avec des inconnues, qu’il séduit puis abandonne à leur sort. Un seul visage éclaire sa route, celui de Daisy, la seule femme qu’il ait jamais aimé et après laquelle il court désespérément.

Brown bunny - Bande Annonce FRenvoyé par _Caprice_

QUELQU’UN QUELQUE PART

Brown Bunny est-il un traquenard besogneux, un miroir vain et ronflant de son auteur, un monument du rien? Les cancans de Cannes ont tôt fait de vilipender la deuxième réalisation de Vincent Gallo, dont les fréquentes bouffées de rancune n’ont fait qu’enflammer ces rumeurs alarmistes. Contrairement aux idées reçues (si excessives qu’elles s’annulent d’elles-mêmes), Brown Bunny n’est ni un ego-trip, ni une pataugeoire à la gloire de Gallo, mais une procession sentimentale et mortuaire sur des amants égarés. Une consciencieuse mise à nu, illuminée par un regard, une rencontre muette et autant de détresse enfouie. A ceux qui n’ont gardé en mémoire qu’une scène de fellation bien triste, Bud Clay, brebis suppliante et bourreau assumé, oppose un amour absolu, obsessionnel. Trop précieuse, la romance selon Clay ne survit pas aux trahisons. Une étreinte lacère, un baiser mendié écœure plus qu’il n’apaise. Dans ses chansons, modèles d’épure et de concision maladive, Vincent Gallo miaulait déjà sa solitude de mauvais garçon et de boudeur disgracié. A cheval sur une moto, un bonnet vissé sur le crâne, les Bud Clay et les Billy Brown (Buffalo '66) se débattent contre leurs mensonges. Attirer l’attention de parents indifférents, séduire et faire semblant d’y croire; le rituel se répète, indéfiniment. L’extension fictive de Gallo a beau être un compétiteur, son chemin de croix exalte plus un désarroi cinglant qu’un autoportrait complaisant et flagorneur.

SOUS LE SOLEIL EXACTEMENT

Brown Bunny et ses os rachitiques ne pouvaient que s’affaisser dans le désert, ou se consumer sous un soleil brûlant. Les silhouettes sont passagères, les souvenirs grinçants. Avec son ascèse étudiée, ses nervures harmonieuses et son imperturbable tracé linéaire, Brown Bunny pourrait être le parent pauvre de Gerry de Gus Van Sant, un happening nébuleux dans lequel l’artiste exhibe son appendice à l’impromptu. Mais ce serait méconnaître le parcours intransigeant de Vincent Gallo, fidèle à ses hantises. La scénographie instaurée par le cinéaste polyvalent est la sœur attendue de Buffalo ’66, son premier coup d’éclat, et non la réponse opportuniste à un phénomène d’épure cinématographique. L’unique torture infligée par Brown Bunny est un étirement volontaire du temps, une partition débarrassée de ses attaches signifiantes (ni dialogue ni bordereau explicatif). Douce torture, dans la mesure où elle est parfaitement régulée et déploie une tendresse naïve avant une dernière confidence. La suite est affaire de collusion et de sensibilité. En dépit de sa simplicité désarmante, ce "rien" tant décrié, il y a bel et bien une histoire dans Brown Bunny. Mais celle-ci est déjà enterrée. Bud Clay n’est déjà plus parmi les vivants. Il faudra attendre la fugitive Daisy pour entrevoir la violence du mal-être. Les panoramas claustrophobes (l’autoroute vue d’un pare-brise tacheté), les cercles vicieux (les tours de piste de la scène d’ouverture) préparent déjà la commotion finale.

L’ABSENTE

La beauté feutrée de Brown Bunny vient de ces blancs insolents, ce bitume à perte de vue, dans lesquels s’engouffre volontiers la silhouette fantomatique de Bud Clay. Un point, une ligne, un contour pour étouffer un chagrin. Une déflagration charnelle pour exorciser l’indifférence. Les deux espaces distincts du film (dehors / dedans), vases communicants qui ne pourraient exister l’un sans l’autre, révèlent la véritable nature de Brown Bunny. Un songe éveillé aux frontières indécises, où les rapports de force basculent d’un instant à l’autre; l’éternelle absente fait irruption dans une chambre, l’onirisme devient onanisme. Corps fuyants ou transparents, Bud et Daisy se matérialisent enfin dans une pièce hermétique. Le trouble suscité par la scène d’amour (sans érotisme aucun) accentue encore le décalage entre un voyage immobile et abstrait et une lutte précipitée, au réalisme morbide. Vincent Gallo brise pourtant l’imagerie pornographique, par un sursaut inattendu. Position fœtale, voix étranglée, Bud Clay tourne le dos à Daisy, comme Billy Brown ose à peine effleurer la joue de Layla. Le trompe-l’œil de Gallo remue tous ses thèmes de prédilection, de l’errance mélodieuse au seuil de non retour. Portant son projet à bras le corps (acteur, réalisateur, monteur…), Gallo refuse toute médiation pour mieux gratter l’essentiel. Mais le Narcisse n’est pas celui qu’on croit. Les seules fleurs à recenser sont les bluettes de Bud Clay aux prénoms évocateurs: Violet, Lilly, Rose. Et Daisy, le démon évanoui.

par Danielle Chou

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Sans rancune

Précédé d’une rumeur sulfureuse, Brown Bunny émerge de la Croisette dans les habits du sauveur. La sélection 2003 est jugée mauvaise, les spectateurs languissent d’un vrai coup de cœur (le prix du consensus échoira aux Invasions barbares). Hérauts du cinéma indépendant, gravures de modes prêtes à l’emploi, Vincent Gallo et Chloë Sevigny se délectent encore de cette attente. La suite est une longue et douloureuse débandade. Symphonie de sifflets, campagne de désinformation (selon de vilaines assertions, Gallo se serait publiquement excusé de la nullité de son film), presse nationale et internationale sur les dents. Brown Bunny-le film s’efface inexorablement derrière Gallo-la tête à claques. La débâcle ferait presque sourire les intéressés si elle n’était si disproportionnée.

Il faut revoir la conférence de presse électrique, où Vincent Gallo réussit à coups de réparties hilarantes et de confidences sincères à désamorcer l’animosité des journalistes. Si l’équipe réduite du film (Gallo, Chloë Sevigny, le distributeur japonais et sa traductrice) arrive sous les huées, elle repartira tranquillement sous les applaudissements. Conséquence directe de cette expérience éprouvante à Cannes: Brown Bunny a été écourté d’une demi-heure. La version présentée en mai 2003 n’aurait pas reçu le sceau du réalisateur, qui revendique ici un véritable final cut. Un autre point laissé dans l’ombre: la bande originale - au diapason de la mélancolie ambiante - a été soigneusement élaborée par le réalisateur. Les cinq titres originaux composés par John Frusciante, leader des Red Hot Chili Peppers, ne figurent malheureusement pas dans le film.

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