Bled number one

Bled number one
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Bled number one
France, 2006
De Rabah Ameur-Zaïmeche
Scénario : Rabah Ameur-Zaïmeche, Louise Thermes
Avec : Rabah Ameur-Zaïmeche, Rodolphe Burger, Ramzy Bédia, Abel Jafri, Farida Ouchani, Meriem Serbah
Durée : 1h37
Sortie : 07/06/2006
Note FilmDeCulte : *****-

FESTIVAL DE CANNES 2006 - A peine sorti de prison, Kamel est expulsé vers son pays d'origine, l'Algérie. Cet exil forcé le contraint à observer avec lucidité un pays en pleine effervescence, tiraillé entre un désir de modernité et le poids de traditions ancestrales.

FILM NUMBER TWO

On avait laissé Rabah Ameur-Zaïmeche il y a cinq ans, dans les banlieues françaises malades de double-peine et de misère sociale. C'était Wesh wesh, qu'est-ce qui se passe?, ses barres d'immeubles en DV, ses petits dealers, ses réunions tupperware d'un autre genre, au bas des HLM. Premier film, première balafre d'humanité brute, autoproduit familialement, avec passion, énergie et évidence. Immédiatement, un auteur naissait. Un acteur, également, nommé ici Kamel, silhouette dégingandée et crâne ovoïde, présence charismatique à l'envergure modeste. On avait perdu de vue Kamel en bout de course. Une déflagration nous avait heurté le tympan, vrillé le cœur. On n'avait jamais su s'il s'en était tiré. Bled number one donne à chacun la réponse qu'il souhaite. Les plus optimistes se persuaderont que leur anti-héros a survécu, et que ce Bled number one est un épisode deux. Kamel, comme Tintin (dont il partage l'uniforme héroïque — ici un informe bob orange), ne peut pas mourir. Les autres, ceux qui n'ont pas oublié le transformateur électrique de Clichy-sous-Bois, y verront une préquelle, sorte d'hommage biaisé à un mort pour la France. Et souligneront, à raison, que la question n'est pas là.

DÉBLAYER L'HORIZON

La parenté entre Wesh wesh… et Bled number one s'arrête en effet ici, à la lisière de l'identification. Ceux qui — ces colonnes n'y échappèrent pas — avaient déjà, légitimement mais par trop précipitamment, érigé RA-Z en héraut de la cité, cinéaste d'une réalité périurbaine estampillée cinéma-vérité, sont invités à reconsidérer leur classification hâtive. Pas de système Ameur-Zaïmeche, sinon celui de la famille, unie au générique sous la bannière patronymique. Deux films et, déjà, un auteur se réinvente. La raison pourrait en être génétique et calculée — contre-pied voulu, programmé, écrit, du nanan critique. Elle est géographique et aventureuse — subtile, accidentelle. En délocalisant son cinéma, RA-Z en a profité pour pousser les murs. Déposer, au milieu de l'horizon désormais dégagé, son cadre numérique. Et découvrir, ébahi, sa liberté de circulation. Bled number one témoigne de ce ravissement d'un cinéaste venu en quête de fiction et tombant nez à nez avec le documentaire. Le choc n'est pas nouveau. C'est sa sismicité qui surprend, inventant une tectonique narrative neuve et mouvante, disloquée en apparence, mais unifiée par le paysage.

LE NOUVEAU WESTERN

Ainsi dévoilé, le dispositif cinématographique s'efface humblement, épousant le mouvement des corps et des âmes, refusant la constance au profit de la justesse. S'assumant, surtout, technique autant qu'art. Fragment brut autant que fabrication. Invention et hasard. Par trois fois, la musique unifiera ces morcellements. 1. A flanc de colline, Rodolphe Burger, chœur antique en pleine nature, rallonge électrique apparente, chante la mélancolie de Kamel et passe la diégèse à l'épreuve de la pédale wha-wha. Le son est dégueulasse, la voix saturée et le timbre faux — effet de direct. 2. Live encore, sur scène cette fois. Meriem Serbah valide en une reprise de Billie Holiday ce que le récit peinait à asseoir: le personnage de Louisa, ses envies de chant, son être ici et ailleurs. Puis les figurants/spectateurs s'emparent à leur tour du micro, y hurlent faux mais sincère, frappent des mains. On y est. 3. Live toujours, au crépuscule du film. Dans un contre-jour, on retrouve l'alter-ego musical de Kamel, qui hurle électrique à la brune. Entrent dans le champ, par la droite, deux ombres inattendues. La fiction ne les avait pas invitées. Le cinéma les accueille à bras ouverts, accompagnant leur marche, dans l'espoir de ne pas les perdre de vue. Le paysage et les hommes. Le soleil couchant. Nous voici en plein western. Et le bled, l'islam, la double-peine, l'intégrisme? On pourrait en parler, il y aurait à dire. C'est l'autre versant du film, riche et sûr, partie prenante du récit. Mais aussi caution CNC, arrière-plan. Pour preuve: RA-Z désigne les extrémistes sous un vocable volontairement neutre, qui pourrait être, simplement, opposants. C'est en fait tout comme: desperados.

par Guillaume Massart

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