Berkman se séparent (Les)
The Squid and the Whale
États-Unis, 2005
De Noah Baumbach
Scénario : Noah Baumbach
Avec : William Baldwin, Jeff Daniels, Jesse Eisenberg, Owen Kline, Laura Linney, Anna Paquin
Photo : Robert D. Yeoman
Musique : Britta Phillips
Durée : 1h21
Sortie : 12/07/2006
A l’annonce du divorce de leurs parents, Walt et Frank sont désemparés. L’aîné prend le parti du père, loser magnifique, le cadet préfère défendre sa mère fautive. Ni l’un ni l’autre ne supportent la nouvelle partition familiale.
L'ÂGE INGRAT
"Together we stand, divided we fall". Un mariage, deux enfants et un divorce plus tard, Les Berkman se séparent, les injures en travers du gosier et les couteaux dans l’estomac. Le petit prodige Wes Anderson avait sa Famille Tenenbaum et ses enfants mutiques, son co-scénariste (pour La Vie aquatique) et proche collaborateur Noah Baumbach consacre une page, plus bavarde et plus tourmentée, à son adolescence dépressive. La guerre des Berkman débute sur un court de tennis, revers contre coups bas, attaques acides et raclées de haute volée. Mais Baumbach s’intéresse d’abord aux enfants, à leurs mots bredouillés et leur solennité défaillante. Le foyer a implosé, les deux garçons ont déménagé leurs duvets et choisi leur camp. Walt, 16 ans, s’en remet au père, épaules vaillantes, fierté ravalée, gentil rustre et écrivain en panne prolongée. Frank, 12 ans, se réfugie dans les jupes de sa mère, la fautive, la délurée mais aussi la plus épanouie. C’est elle qui a sabordé le couple et c’est elle dont le roman va paraître dans le New York Times. Comme dans La Famille Tenenbaum où les papier-peints et les reliures racontaient à eux seuls une histoire, l’enveloppe jaunie – les habits, les décors – occupe ici le premier plan. Anderson privilégiait une maisonnette rétro à la temporalité floue, Baumbach s’inscrit dans une logique plus terre à terre: un lieu (Brooklyn), une année (1986), un standard (Hey You de Pink Floyd), une référence sportive (Ilie Nastase), des citations à foison (Godard, Eustache) et la nostalgie d’un cocon cafardeux.
PARENTS MODELES
Un tournage en 23 jours pour un format souris (1h21); le propos de Baumbach, originaire de Brooklyn, n'en demeure pas moins alerte et affûté. Tétanisés par la discorde, les deux garçons cherchent désespérement une béquille et une parole sensée. Frank vit par procuration la sexualité débridée de sa mère. Avide de reconnaissance, jaloux de l'attention accordée à son frère, Walt est le premier à se cogner contre un mur. C'est dans le livret de The Wall qu'il vole un texte de Roger Waters. Le plagiat répond à l'absence de modèle serein, Walt lit sans comprendre, calque ses gestes craintifs sur ceux, grossiers mais plus expérimentés, de son père. Les parents éclairés ne délivrent plus aucun savoir, l'écoute et l'empathie leur font soudain défaut. Une dédicace impersonnelle, un blâme de trop et les retrouvailles sur le palier perdent toute intensité. Partout, les mots se dérobent. Frank ne retient que les jurons, Walt ne jure que par les formules savantes, Joan et Bernard privent leurs enfants de commentaires et de promesses rassurants. Caméra à l'épaule, parfois hésitant, Noah Baumbach croque avec justesse la famille émiettée, réserve à chacun son quart d'heure d'abattement, sans irriter ni surligner. Les railleries et les situations cocasses ne suffisent à étouffer l'émotion. Interrogé sur ses souvenirs, Walt trouve enfin ses propres mots et va au-devant de sa rage et de son chagrin. Le titre original, The Squid and the Whale ("le calmar et la baleine"), bien plus évocateur, associe alors une frayeur enfantine à un bonheur fugace: l'âge où un petit garçon terrorisé se sentait encore aimé et regardé.