Behemoth
Bei xi mo shou
Chine, République populaire de, 2015
De Liang Zhao
Photo : Liang Zhao
Durée : 1h35
Dans ce documentaire, Zhao Liang parcourt d’Est en Ouest ce vaste plateau où les prairies cèdent la place aux mines de charbon. Sous ses yeux se déploie le processus barbare de l’économie moderne chinoise.
ANATOMIE DE L'ENFER
Le film de mine chinoise est pratiquement devenu un genre à part entière, qu'il s'agisse de fictions ou de documentaires. Avec Behemoth, le documentariste Zhao Liang (Crime et châtiment, La Cour des plaignants, lire notre entretien) montre ce qu'on a le sentiment d'avoir déjà vu... mais qu'on n'a pourtant jamais vu comme ça. Le premier plan sur une nature en chantier saisit lorsque résonne une terrible explosion. Le plan suivant, avec de la terre volant dans les airs, fait passer la 2D du film pour de la 3D, et brouille les frontières entre cinéma et art vidéo. Quelques images qui rappellent qu'au-delà de Zhao Liang, la Chine est aux avant-postes de l'art contemporain et qu'on n'assistera pas ici à un simple documentaire-reportage comme on en voit si souvent. Le texte (une voix off citant l'Ancien Testament, et évoquant des montagnes qui ont nourri un monstre) ainsi que le traitement particulier de l'image mettent le réel à distance pour mieux s'en emparer. Autre référence utilisée par Zhao Liang : la Divine comédie de Dante. Ce qui pourrait être écrasant et sentencieux transcende le récit et met son sujet en perspective.
Lors d'un raccord bluffant, un monochrome rouge envahit l'écran. Passé le choc plastique, nous entrons dans un brasier infernal où l'on distingue peu à peu ce qui se joue à l'image. La question de ce qu'on voit se pose régulièrement dans Behemoth ; et proposer un regard neuf sur ce qu'on a l'impression d'avoir déjà vu rend justice à ce projet fou. Ces ouvriers sont-ils sur la lune, dans un décor de science-fiction, dans le wagonnet d'un parc d'attractions post-apocalyptique ? Une nouvelle explosion lointaine mais qui surprend un ouvrier nous ramène au réel menaçant. Plus tard, un second raccord en monochrome gris poussière délaisse l'enfer pour le purgatoire. Zhao Liang filme quelques portraits face caméra, des gros plans de visages salis, et plus tard les veuves à qui il ne reste que quelques photos. Les hommes regardent ce décor gigantesque, les mouvements monstrueux des engins détruisant la terre, l'incohérence d'un espace où la verdure côtoie le désert. Ils n'y peuvent rien et sont réduits en charpie.
Un troisième et dernier raccord, un monochrome bleu, nous projette au paradis – pas besoin de préciser que sa désignation est ironique. Au bout du labeur insensé des ouvriers et du désastre écologique, il y a... la construction de villes fantômes. Ce paradis où tout est propre. L'absurdité monstrueuse filmée par Zhao Liang prend, paradoxalement, encore plus de sens dans ce no man's land hanté, au cœur d'un pays aux bouleversements immodérés. La bête monstrueuse du titre semble d'abord être cette entreprise folle, cette béance dans le sol nourrie par les montagnes. Zhao Liang retourne alors le miroir : ne serions-nous pas ce monstre mythique dont on parle ? Lors d'un plan une nouvelle fois saisissant, une forêt de pierres tombales reposent à côté du chantier.