Batman v Superman: L'aube de la Justice
Batman v Superman: Dawn Of Justice
États-Unis, 2016
De Zack Snyder
Scénario : Chris Terrio
Avec : Amy Adams, Ben Affleck, Henry Cavill, Jesse Eisenberg, Laurence Fishburne, Holly Hunter, Jeremy Irons, Diane Lane, Jeffrey Dean Morgan
Musique : Hans Zimmer
Durée : 2h33
Sortie : 23/03/2016
Craignant que Superman n'abuse de sa toute-puissance, le Chevalier noir décide de l'affronter : le monde a-t-il davantage besoin d'un super-héros aux pouvoirs sans limite ou d'un justicier à la force redoutable mais d'origine humaine ? Pendant ce temps-là, une terrible menace se profile à l'horizon…
WHATEVER HAPPENED TO THE MAN OF TOMORROW
S'il y a bien un film qui mérite l'appellation trop aisément usité de "film malade", c'est Batman v Superman. Là où Man of Steel portait encore la marque de Christopher Nolan, Batman v Superman est en quelque sorte le Batman Returns de Zack Snyder. Une suite que l'auteur se réapproprie complètement, pour le meilleur et pour le pire. L'accueil critique outre-Atlantique est à la fois étonnant et peu surprenant tant le film accumule les choix improbables. Étonnant car ce sont précisément ces parti-pris inattendus qui composent les passages les plus séduisants dans ce film par conséquent couillu et personnel mais simultanément parasité par le cahier des charges du franchise building imposé par DC/Warner. La comparaison avec le film de Tim Burton émane de la nature barrée de l'oeuvre mais force est de constater que le résultat est nettement moins maîtrisé. Tout le long, les fulgurances côtoient la vulgarité et le film ne réconciliera pas Snyder avec ses détracteurs. Quelque part, c'est Snyder qui fait une suite à son Man of Steel mais en appliquant l'approche thématique de Watchmen, politique et mythologique, et le prisme formel de Sucker Punch, plus iconique que jamais.
Il y a toujours de la caméra portée dans les scènes de dialogues mais quand Snyder refait les origines de Batman, dans une première scène mêlant brillamment les deux moments-clé de la naissance du héros, c'est quasiment un remake de l'ouverture de Sucker Punch. L'approche esthétique tranche donc quelque peu avec le chapitre premier mais s'avère cohérente vis-à-vis du projet de Snyder sur le fond. On évoque un peu facilement le caractère divin des films de super-héros mais avec Superman, la métaphore est inévitable et, après avoir été davantage dans l'intime sur Man of Steel, le metteur en scène s'attaque frontalement à l'allégorie religieuse cette fois-ci. L'excellente idée du film est de montrer la réponse des humains à l'apparition d'un dieu. Il est fort judicieux de revisiter les événements controversés de la fin de Man of Steel au travers d'un autre point de vue. Batman v Superman arbore d'ailleurs un aspect méta vis-à-vis de la réaction d'une partie du public face au climax de son prédécesseur. Pour ce faire, le récit adopte donc en partie le point de vue de Bruce Wayne. Dans le rôle, Ben Affleck s'avère plus persuasif qu'on n'aurait cru. Son Batman est une masse brute et son Wayne un dragueur creepy mais le Bruce intime est moins convaincant. Mais c'est l'interprétation que Snyder fait de ce super-héros dénué de super-pouvoirs qui est proprement affolante. À l'instar du reste, le traitement est bourrin, s'inspirant évidemment du Batman : Dark Knight de Frank Miller, parano et violent donc hypocrite. Wayne devient donc un homme hanté par des cauchemars sortis de genres différents : une vision fantastique pour les débuts, du film d'horreur pour son deuil et un mémorable set-piece post-apocalyptique pour illustrer les peurs du héros dans un segment qui rappelle là aussi les séquences les plus étranges et impactantes de Watchmen.
Les mauvaises langues parleront de caricature mais Snyder ne se contente pas de livrer sa version iconique du héros torturé. Ouvrir le film sur le meurtre de ses parents, genèse pourtant connue et reconnue et déjà racontée plusieurs fois du personnage, s'inscrit dans le parcours du protagoniste version Snyder : en gros, Batman c'est Saint Thomas. Un Saint Thomas milliardaire qui ne croit tellement pas en ce Messie qu'il veut montrer au peuple que leur Dieu peut saigner. Comme Léonidas face à Xerxès dans 300. L'auteur a de la suite dans les idées. Le rapport de l'Homme à Dieu incarne le récit. C'est ce qui motive les riches sceptiques du film, Bruce Wayne donc mais également l'autre humain de l'histoire, Lex Luthor. Tous deux révèlent des traumas à l'origine de leur athéisme et c'est cet athéisme qui nourrit leur méfiance envers Superman. Ils réfutent son existence. Ils refusent de croire en lui. Comment Superman peut-il être bon si Dieu ne l'est pas? Comme pour le reste du film, la caractérisation de Luthor et la performance de Jesse Eisenberg diviseront. On est finalement plus proche du Joker que du Mark Zuckerberg attendu. Un génie psychopathe avec des daddy issues qu'il projette sur Superman. On ne peut pas dire qu'on a déjà vu cette interprétation du personnage auparavant. Cela étant dit, la première moitié, pourtant la plus carrée du film, reste plutôt laborieuse dans l'écriture des plans de Wayne et Luthor - manipulant tout le monde, gouvernement et Batman compris, dans une inversion intéressante de l'ouvrage susmentionné de Miller - même si cela fait sens au bout du compte.
Si le parcours des antagonistes du film est intéressant, celui de Superman n'est pas forcément en reste quoique moins abouti. La vision qu'a Snyder du personnage est décidément iconoclaste. En faisant de Superman un Dieu humain qui doute, Snyder évoque davantage Nikos Kazantzakis que Shuster & Siegel. Jadis, Superman ne savait pas s'il devait faire son coming out super-héroïque, aujourd'hui il est rejeté après l'avoir fait. Les puristes crieront une fois de plus au scandale mais cette lecture éloignée du boy scout souriant auquel on est habitué a le mérite d'approcher le mythe avec modernité. À l'issue d'une séquence qui semble adapter le Superman : Peace on Earth d'Alex Ross en mode dépressif, on reconnaît un peu l'Atlas d'Ayn Rand dans ce Superman ou plutôt le Dr. Manhattan de Watchmen chez ce surhomme qui perd pied avec le monde, sa compagne étant son seul lien. Toutefois, après avoir déjà précipité la romance entre Clark et Lois dans Man of Steel, Batman v Superman fait carrément l'erreur d'ellipser leur relation, nous plongeant dans un status quo par conséquent jamais crédible. Et comme le film ne trouve jamais réellement la place de Lois dans l'intrigue, son rôle est complètement foiré. Réduire Alfred à un sidekick comique avec une ou deux leçons, comme dans les films de Burton et Schumacher, est acceptable, mais Lois méritait mieux qu'une enquête parallèle superflue et des apparitions opportunes pour ne pas dire non-sensiques.
Malheureusement, ce n'est pas la seule piste thématique qui soit sous-exploitée. Le scénario présente une très belle idée dans la mise en parallèle des deux orphelins que sont Batman et Superman, et plus précisément dans leur rapport avec leurs mères, mais le travail de terrain n'a pas été convenablement abattu pour que cela paie de manière efficace au moment opportun. Si les dames en question avaient bénéficié de plus de scènes, le film aurait pu retrouver l'émotion que le premier tirait des séquences avec les deux pères de Superman. En l'état, l'artifice paraît un peu facile. Au moins, il y avait une idée. Ce même traitement expéditif est moins excusable lorsqu'il s'agit d'inclure les membres de la Justice League juste parce qu'il faut poser les bases de l'univers partagé et des crossovers et spin-offs à venir. Seule Diana Prince/Wonder Woman est vaguement développée mais son inclusion dans le récit est grossièrement écrite et mal amenée. Dans l'action, l'héroïne trouve sa place mais son personnage est trop mal intégrée dans le récit pour que l'on en ait quelque chose à foutre. Et comme Gal Gadot apparaît peu convaincante pour le moment... Le modèle est clairement la Selina Kyle de The Dark Knight Rises mais il s'agissait là d'un véritable personnage secondaire alors qu'ici, cela ressemble, au mieux, à du fan service. Il fallait soit lui donner le même temps de présence, soit l'exclure complètement. Et vu le sort réservé aux autres membres de l'équipe naissante, présentés de la manière la moins cinégénique possible, ce n'aurait pas été un mal.
Batman v Superman est indéniablement bordélique. Le pire étant sans doute ce climax bourratif et laid, symptôme paroxystique des problèmes du film : il y a toujours une idée forte qui incarne le récit mais c'est souvent très bourrin dans l'exécution. Diable, part sombre, culpabilité, péchés et sacrifice, tout est là dans un un final où Superman réfutera l'Objectivisme suggéré par sa mère mais la portée thématique ne parvient pas à compenser les égarements narratifs. La facilité et l'absurdité de la création de Doomsday, l'ultime ennemi à combattre, n'ont d'égal que le générisme de son design. Des fois, l'iconisme pur fait passer la pilule, des fois non. Outre ses scènes d'action - qui claquent dès qu'elles mettent en scène Batman, que ce soit lors d'une poursuite en voiture dévastatrice ou de combats brutaux, semblablement inspirés de la série de jeux vidéo Batman : Arkham - Batman v Superman survit grâce à l'onirisme outrancier de Snyder et son terreau thématique riche laisse rêver que le Director's Cut, déjà annoncé et plus long de 30 minutes, saura venir apporter l'équilibre à un récit à la fois trop long et trop rapide. Quoiqu'il en soit, le résultat est assez fascinant à regarder. Et dans un paysage cinématographique où les blockbusters - et les films de super-héros - se ressemblent de plus en plus, une vision personnelle et audacieuse est à saluer.