La Bataille de Solférino
France, 2013
De Justine Triet
Scénario : Justine Triet
Durée : 1h34
Sortie : 18/09/2013
6 mai 2012, Solférino. Laetitia, journaliste télé, couvre les présidentielles. Mais débarque Vincent, l'ex, pour voir leurs filles. Gamines déchaînées, baby-sitter submergé, amant vaguement incrust, avocat misanthrope, France coupée en deux : c’est dimanche, tout s'emmêle, rien ne va plus !
LA FRANCE EST DANS LA RUE
A première vue, il y a dans le premier long-métrage de Justine Triet un réalisme qu’on serait tenté de qualifier de très français. C’est tout d’abord le réalisme des sentiments, celui d’une crise conjugale scrutée sur le vif dans ses détails et ses élans, avec en guise de microscope des dialogues précis et une caméra qui colle aux basques des protagonistes. C’est aussi le réalisme d’un ancrage socio-politique des plus concrets et contemporains : le jour des élections présidentielles de 2012 filmé depuis l’intérieur de la foule présente rue de Solférino. Mais dans ces deux cas, le quotidien selon Justine Triet ne tarde heureusement pas à bouillir et déborder de la casserole. Si les ingrédients sont connus, la recette est inédite. La Bataille de Soférino est un film qui possède un ton bien à lui. La verve des dialogues amoureux (ou anti-amoureux en l’occurrence) trouve ici plus de vie et de fougue que dans la plupart des autres films français. Si Triet semble parfois se situer dans une veine franco-naturaliste bien connue (de Rohmer à Sophie Letourneur) des films-sur-la-parole, où les dialogues et la verbalisation importent plus que l’action, la réalisatrice vise plutôt l’épuisement de cette formule. Ce qui se passe quand le trop-plein de blabla part en vrille.
La bataille en question est évidemment autant celle des deux candidats au second tour que celle des protagonistes pour la garde de leurs enfants. Deux personnages qui luttent et se frottent à la foule jusqu’à l’éreintement, la crise, la panique. Laetitia et Vincent parlent sans cesse, sans garde-fou, crient souvent, tantôt attachants tantôt crispants, jusqu’à s’approcher de la folie. Et c’est justement ce précipice qui donne au film son caractère, même si cela reste à double tranchant : à force de vouloir se faire entendre sans jamais négocier, ces personnages deviennent presque insupportables. Sont-ils malades, psychologiquement fragiles ? Sont-ils simplement irresponsables et égoïstes ? Malgré une logorrhée parfois harassante, La Bataille de Solférino échappe pourtant au dialogue de sourd grâce à un équilibre enivrant entre le rire et l’angoisse. Quand ces amants terribles quittent leur appartement de fous remplis de cris et de gags pour se courir après dans la rue, ces questions prennent en effet une autre dimension.
Entre deux huis-clos vigoureux, Triet lâche ses protagonistes dans une foule immense et tente de les suivre de loin, de les retrouver comme dans une version live de Où est Charlie. Ces personnages inadaptés restent-ils alors marginaux, une fois mélangés à leurs pairs ? Ou est-ce toute la société qui est inadaptée à elle-même ? Justine Triet nous donne la réponse : face à sa caméra, les fous, ce ne sont plus seulement Laetitia et Vincent. En cette journée 2012 pleine de tension comme un an après, les fous, c’est nous tous. C’est toute la France.