Le Bon gros géant
The BFG
États-Unis, 2016
De Steven Spielberg
Scénario : Melissa Mathison
Avec : Jemaine Clement, Bill Hader, Mark Rylance, Penelope Wilton
Photo : Janusz Kaminski
Musique : John Williams
Durée : 1h57
Sortie : 20/07/2016
Le Bon Gros Géant (Mark Rylance) ne ressemble pas du tout aux autres habitants du Pays des Géants. Il mesure plus de 7 mètres de haut et possède de grandes oreilles et un odorat très fin. Il n’est pas très malin mais tout à fait adorable, et assez secret. Les géants comme le Buveur de sang (Bill Hader) et l’Avaleur de chair fraîche (Jemaine Clement), sont deux fois plus grands que lui et aux moins deux fois plus effrayants, et en plus, ils mangent les humains. Le BGG, lui, préfère les schnockombres et la frambouille. À son arrivée au Pays des Géants, la petite Sophie, une enfant précoce de 10 ans qui habite Londres, a d’abord peur de ce mystérieux géant qui l’a emmenée dans sa grotte, mais elle va vite se rendre compte qu’il est très gentil. Comme elle n’a encore jamais vu de géant, elle a beaucoup de questions à lui poser. Le BGG emmène alors Sophie au Pays des Rêves, où il recueille les rêves et les envoie aux enfants. Il va tout apprendre à Sophie sur la magie et le mystère des rêves…
ACRONYMES
En 1982, Steven Spielberg signait le film qui allait le définir à tout jamais. Il ne s'agissait ni de son premier long métrage, ni de sa première excursion dans le fantastique, ni même de sa première rencontre du troisième type, mais c'était la première fois que le cinéaste livrait un film aussi intime. Ses précédents films n'étaient aucunement impersonnels et ses obsessions nées de traumas de l'enfance étaient déjà présentes mais jusqu'alors, le film le plus proche d'un drame qu'avait signé Spielberg dérivait tout de même en road movie à travers l'Amérique. En fin de compte, c'est ça le plus surprenant dans l'incommensurable succès d'E.T. au box-office : à la base, c'est un petit film de 10 millions de dollars sur l'amitié entre un gamin et une créature venue de l'espace. En 1982, une autre histoire destinée à bercer toute une génération d'enfants voyait le jour, dans les librairies cette fois. Le BGG de Roald Dahl avait déjà été adapté en dessin-animé mais quelque chose dans son ADN semblait taillé sur mesure pour Spielberg. Cette date de naissance commune n'est pas le seul point de convergence entre les deux oeuvres. Outre leur postulat similaire, le film culte de Spielberg et son adaptation de l'ouvrage de Dahl partagent également une même scénariste, la regrettée Melissa Mathison et si la comparaison entre E.T. l'extraterrestre et Le BGG - Le Bon Gros Géant est inévitable - et inévitablement en faveur du premier - elle s'avère beaucoup plus constructive dès lors que l'on s'intéresse à ce qui a changé dans le regard du cinéaste sur ce genre d'histoire, ce genre de film, ce genre de cinéma.
FREESTYLER
Bien qu'il soit tiré d'un roman, le récit du BGG rappelle davantage celui d'une nouvelle. Délaissant toute structure traditionnelle, Dahl et Mathison optent volontairement pour une construction plus libre, et donc plus lâche par moments - le film n'est pas exempt de longueurs, commençant immédiatement, dans l'Angleterre des années 80 (1982?) mais qui pourrait tout aussi bien être intemporelle, avant de basculer dans un récit où, dans l'absolu, il ne se passe pas grand chose. Dès le départ, il apparaît évident que l'on n'est pas dans un film de world building type Avatar, à visiter la faune et la flore du Pays des Géants. À vrai dire, on passe davantage de temps dans la demeure du géant qu'en dehors. C'est là que Spielberg se permet quelques morceaux de bravoure ludiques, avec une mise en scène qui témoigne une fois de plus de tout le talent du cinéaste en matière de scénographie et de composition du cadre, sa caméra encore plus mobile qu'à l'accoutumée, libérée par le numérique. Sauf qu'ici ses habituels plans-séquences invisibles autour de quelques personnages dans un espace clos revêtent une tout autre dimension avec un jeu constant sur les échelles assez réjouissant. Il y a Sophie, la petite fille, le BGG, un géant, et ses congénères, beaucoup plus grands que lui, et tous se meuvent tant bien que mal dans un jeu du chat et de la souris. Toutefois, Spielberg ne donne jamais dans l'action pure. Il l'évince même presque entièrement d'un climax qu'il aurait pu développer en set-piece gigantesque pour assurer le quota blockbuster d'un film qui coûte 140 millions de dollars et va se rétamer au box-office US. En réalité, le climax est émotionnel et consiste en un échange entre les deux protagonistes.
THE BFF
Si le film met tant de côté la découverte du Pays des Géants, c'est parce qu'il préfère montrer le Géant et Sophie se découvrir. En lieu et place de l'enfant du divorce qui sympathise avec un extra-terrestre oublié par ses semblables, nous avons donc une orpheline qui devient l'amie d'un géant malmené par ses pairs mais la différence ici est dans la caractérisation du géant. Le BGG c'est un Peter Pan qui aurait grandi mais qui serait resté au Pays Imaginaire tout en continuant à kidnapper des enfants pour ne pas être seul. C'est l'histoire d'un E.T. qui aurait connu un Elliott et l'aurait perdu. C'est cette mélancolie inattendue qui incarne Le BGG et le distingue de son illustre prédécesseur. Ici, la solitude n'est plus juste celle de l'enfant mais celle de la créature surnaturelle, avec toute l'émotion contenue dans un regard du BGG pour Sophie pendant qu'il se fait martyriser par des "plus grands que lui" ou dans un face à face nocturne déchirant. D'ailleurs, si les effets spéciaux déçoivent sur certaines incrustations malheureuses, la performance capture est tout bonnement incroyable. Après le déjà impressionnant Tintin, Spielberg renoue avec le procédé et cinq ans de progrès technologique rendent les visages plus vrais que nature, permettant à la remarquable interprétation de Mark Rylance, à l'opposé de sa prestation oscarisé du Pont des espions, de prendre vie face à la pétillante Ruby Barnhill.
GÉANT DE PAPIER
Si la solitude est cette fois celle de la créature, c'est aussi parce que ce coup-ci, Spielberg s'identifie davantage à ce dernier. Impossible de ne pas déceler l'aspect autobiographique du film à la vue de ce géant qui refuse la consommation (littérale) du petit peuple mais préfère le divertir ou l'inspirer. La lecture métafilmique est inéluctable. Au bout de 30 films, les thématiques récurrentes de Spielberg sont désormais connues de tous et la communication a toujours été le thème sous-jacent de toute sa filmographie, que ce soit celle entre les humains et les extra-terrestres ou celle entre Israëliens et Palestiniens. Cela dit, depuis quelques films, l'auteur parle plus spécifiquement de communication par le biais du storytelling - Tintin qui n'a de cesse de dire "I'm always looking for a good story. That's my job", Lincoln et ses anecdotes pour amadouer ses interlocuteurs - et Le BGG est la première fois qu'il parle aussi frontalement de sa propre fonction de conteur d'histoire. Il y avait déjà du Spielberg dans le président manipulateur et on le retrouve également dans ce que ce dernier opus dit des rêves mais également des mauvais rêves, qu'ils sont là pour nous préparer, nous protéger, qu'ils sont un mal pour un bien. Un peu comme les compromis nécessaires au progrès de Lincoln. Et si la notion d'un vieil homme chassant les rêves pour les insuffler aux enfants ne suffisait pas, l'analogie est complètement assumée par cette séquence où ledit rêve est fabriqué en prenant l'allure d'un zootrope. L'antre du BGG, c'est l'usine à rêves qui donne son nom au studio co-fondé par Spielberg. Par conséquent, si le géant représente Spielberg, alors il est ce Peter Pan qui a grandi, cet E.T. qui a perdu Elliott. Il est un conteur à la recherche de l'enfant en soi. En réalité, Spielberg est autant le géant que la petite fille et Le BGG, le dialogue entre un cinéaste et la magie de ces films d'antan qu'il cherche à retrouver. C'est moins un film qui cherche à refaire E.T. qu'un commentaire sur la démarche elle-même. On n'est pas très loin du propos sur les dangers de la nostalgie de son Ready Player One à venir et l'ambigüité des dernières minutes du film, plus triste que celle du livre, peut se lire comme une réponse à cette quête illusoire.