Les Aventures de Tintin: Le Secret de la Licorne

Les Aventures de Tintin: Le Secret de la Licorne
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Aventures de Tintin : Le Secret de la Licorne (Les)
Adventures of Tintin: The Secret of the Unicorn (The)
États-Unis, 2010
De Steven Spielberg
Scénario : Joe Cornish, Steven Moffat, Edgar Wright
Avec : Jamie Bell, Daniel Craig, Simon Pegg, Andy Serkis
Musique : John Williams
Durée : 1h47
Sortie : 26/10/2011
Note FilmDeCulte : ******
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Tintin, notre intrépide reporter, son fidèle compagnon Milou et son inséparable ami le Capitaine Haddock partent à la recherche d’un trésor enfoui avec l’épave d’un bateau “la Licorne”, commandé autrefois par un ancêtre du Capitaine Haddock.

AU PAYS DES STUDIOS

En décembre 2009, nous étions nombreux à sortir de la projection du tant attendu Avatar avec l'impression d'avoir vécu un rêve éveillé. Les Aventures de Tintin partage certains points communs avec le film de James Cameron, comme la performance-capture et la 3D, mais la comparaison est d'autant plus pertinente ici de par le procédé choisi pour porter à l'écran le personnage et l'univers d'Hergé. Le parcours du projet dans l'esprit des cinéphiles s'est fait dans l'incrédulité. Une incrédulité qui n'a jamais disparu, qui a juste évolué. L'incrédulité au sens propre devant la rumeur, l'incrédulité au sens figuré suite à l'annonce officielle, l'incrédulité du sceptique concernant le procédé de la performance-capture, et finalement les premières images, fixes, puis en mouvement, et le résultat final qui est tout simplement...incroyable. Face au produit fini, il est épatant de voir à quel point l'usage d'une technique encore controversée s'avère justifiée, et remarquablement mise en scène. Envolées, les questions qui pouvaient encore subsister sur ce qui avait attiré Steven Spielberg à retourner vers ce projet après un rendez-vous manqué il y a une vingtaine d'années. D'autant plus que la concrétisation de cette arlésienne succède à une autre, le quatrième Indiana Jones qui en avait déçu beaucoup, mais cette fois-ci, Spielberg a su mieux s'entourer. Avec une dream team improbable où Peter Jackson se substitue à George Lucas pour la production, et où la crème des scénaristes british geek vient remplacer les collaborateurs habituels de Spielberg, Les Aventures de Tintin propose une adaptation qui renoue avec la fraîcheur des Aventuriers de l'Arche perdue et présente différentes récurrences thématiques spielbergiennes sans faire d'infidélité à Hergé dont l'œuvre est remaniée ici au mieux.

L'ALPH-ART

Interrogé sur la genèse du projet, Spielberg dit avoir lutté pour définir la façon d'adapter Tintin à l'écran, souhaitant rester très proche du dessin d'Hergé mais sans tomber dans de la copie à la Dick Tracy de Warren Beatty. Il ne voulait pas non plus refaire Indiana Jones, une comparaison de toute façon inévitable, qui aurait été exacerbée avec un film en prises de vues réelles. C'est après que Robert Zemeckis lui a montré une première version de La Légende de Beowulf que Spielberg élit la performance-capture comme la manière adéquate de transposer l'univers de Tintin au cinéma. Au début, quand Spielberg et Jackson annoncent dans le communiqué de presse que la technique permettra d'avoir à l'écran de "vrais gens à la Hergé", on se demandait à quel point ce serait photoréaliste. Est-ce qu'ils allaient juste faire tout pareil (la houppette, le nez cylindrique sans narines, les deux points noirs en guise d'yeux) avec une vraie texture de peau ou allaient-ils se permettre de rajouter du blanc autour des yeux, des iris, etc. En gros, le design éventuel serait-il plus proche du dessin d'Hergé, du look cartoonesque des personnages de Monster House ou du réalisme humain des derniers films de Zemeckis? Aujourd'hui, on connaît la direction choisie et on peut affirmer après avoir vu le film, qu'il s'agissait de la meilleure. C'est incroyable comme, entre l'inévitable progression technique vis-à-vis des précédents essais et l'intelligence de garder le design d'Hergé et donc de s'éloigner de traits humains trop réels, le rendu est réussi. Pour les personnages, déjà, on ressent une certaine maturité, une approche très réfléchie, notamment dans des détails qui ont dû nécessiter bien des discussions alors que ça peut paraître tout con, comme la couleur des yeux. Les yeux de Haddock, par exemple, sont impressionnants d'intensité. Le fait de choisir de faire des yeux bleus, plutôt qu'une autre couleur (vu qu'ils avaient le champ libre à ce niveau), témoigne d'une certaine réflexion concernant l'adaptation à l'écran, le rendu à l'écran, et le résultat de cette décision est assez probant. Et ça vaut pour tout. Yeux, cheveux, couleur, forme, taille... Le travail qui est allé dans la texture est juste sidérant. Il n'y a qu'à contempler le grain de la peau. On met un temps à s'y faire au début, non pas parce que c'est approximatif mais justement parce que c'est tellement bien fait qu'il faut un temps pour l'œil et le cerveau pour accepter que ce sont des vrais gens, en chair et en os, qui ont juste des tronches bizarres, comme des nez gigantesques. A la Hergé.

L'effet est par ailleurs accentué par le réalisme des décors. On dira que ce n'est pas bien difficile en comparaison, mais si l'on se rappelle les films de Zemeckis par exemple, on remarquera que pour s'aligner sur le photoréalisme encore pas tout à fait juste des personnages, les décors et les créatures étaient elles aussi un peu volontairement fausses si on peut le dire ainsi (cf. le dragon qui n'a pas la texture "réaliste" de ceux du Règne du feu ou de Harry Potter par exemple). Ici le photoréalisme des humains est tellement réussi que le reste peut se permettre de l'être aussi. Un photoréalisme qui tend carrément à la peinture hyperréaliste. Ce n'est pas pour rien que Spielberg dit ne jamais s'être autant senti peintre et qu'Edgar Wright (co-scénariste du film et réalisateur de Scott Pilgrim) décrit le film comme une "peinture vivante". Cela se traduit à l'écran par un aspect des plus chatoyant. C'est vivant, ça rebondit et ça s'envole. A ce titre, l'animation des corps est également assez remarquable, très réaliste et moins pantomime, sauf pour certains gags qui adoptent volontairement une approche en hommage au slapstick déjà présent dans la BD, notamment dans les poses. Terry Notary, coach de gestuelle qui a bossé entre autres sur La Planète des singes : les origines, est également à l'œuvre ici et Spielberg évoquait le background de danseur de Jamie Bell qui apparaît effectivement exploité pour rendre au mieux les poses et l'énergie de Tintin par Hergé. Et l'animation fait le reste. Tout le long, le choix de la performance-capture comme méthode d'adaptation s'impose comme une manière d'obtenir le meilleur des deux mondes. On respecte la palette de couleurs et la charte graphique d'Hergé et on peut modeler le monde à sa façon. C'est notre monde...mais pas tout à fait. Il a une qualité "autre". D'où l'impression de rêve éveillé.

LA TOILE MYSTERIEUSE

Évidemment, il est impossible pour le film de mettre tout le monde d'accord parce qu'en dépit d'une très grande fidélité à l'œuvre originale, ça reste Tintin réinterprété au travers de l'œil de Spielberg, alliant ambiance et rythme, mystère et dynamisme, film noir et film d'aventures... L'épatante photographie du film saute en particulier aux yeux. Le travail sur l'éclairage y est pour beaucoup dans le photoréalisme des images. Il y a quelque chose d'à la fois très stylisé, très "atmosphérique", comme l'annonçait Janusz Kaminski (chef opérateur de Spielberg depuis La Liste de Schindler qui aurait apporté ses lumières ici), et en même temps de naturel, pas dans le sens "lumière naturelle" mais naturelle dans la manière dont elle tombe sur les personnages. On pense davantage à la photo de films d'animation comme Wall-E et Dragons (tous deux supervisés par Roger Deakins, chef opérateur des frères Coen) qu'à celle de Robert Presley sur les deux derniers Zemeckis en performance-capture, remarquable au demeurant mais plus délibérément "fantastique". Si Kaminski n'est pas crédité au générique, on retrouve cependant au titre de "Lighting Consultant" nul autre que...Steven Spielberg. Décidément plus impliqué que jamais, le cinéaste a également, pour la première fois depuis longtemps, cadré le film lui-même, la technologie le lui permettant. Les mouvements simili-Steadycam et à l'épaule apportent aussi une certaine dose de véracité. La plupart du temps Spielberg a gardé les limites de la caméra non-virtuelle. Il y a évidemment des plans qui se permettent de passer sous tel objet ou à travers tel surface - parce que Spielberg se fait plaisir quand même, notamment en abusant de mille et un reflets comme il les aime et que l'animation lui permet de multiplier - mais la majeure partie du temps, le cinéaste filme comme un film en prises de vues réelles, ce qui là aussi tend vers la crédibilité de l'univers numérique. C'est comme les effets spéciaux filmés en arrière-plan dans La Guerre des mondes.

Au-delà de cette sensation d'authenticité, la mise en scène s'avère avant tout incroyablement dynamique. Qu'il s'agisse de la composition du cadre en strates et du filmage "11-septembrien" de La Guerre des mondes ou du découpage de Minority Report et même le rythme d'Indiana Jones & le royaume du crâne de cristal, la mise en scène de Spielberg se fait de plus en plus moderne. Néanmoins, dans le cas présent, accentué peut-être par les images de synthèse et ce côté "hyperréel", c'est formellement "vibrant", bondissant tout le temps, constamment en mouvement. Ce n'est pas juste la manière habile de balancer de l'exposition en pleine évasion du Karaboudjan, c'est le tout qui semble avoir une qualité "non-stop" dans l'action qui se fait alors très entraînante, un effet sans doute lié à la fluidité offerte par le numérique. Et c'est certainement ce potentiel aussi qui a attiré l'auteur, un réalisateur avec déjà plus de 20 films derrière lui, qui n'a plus rien à prouver mais qui continue de se renouveler. Les Aventures de Tintin lui offre l'opportunité d'expérimenter avec la nouvelle technologie, ce qui l'a visiblement intéressé vu sa participation aux animatiques des combats de La Revanche des Sith et sa proximité avec Zemeckis avec qui il a produit Monster House. Il y a dans la forme un truc qui l'a intrigué, lui qui ne s'est justement jamais plié à ce genre d'exercices liés au numérique. Tourner Tintin de la sorte est donc une démarche artistique qui s'avère pour le moins fascinante. Entre les mains de Spielberg (et de la boite à effets spéciaux de Jackson, WETA, déjà à l'œuvre sur Avatar), ça devient une sorte de Graal. Et la performance-capture de se voir donner ses lettres de noblesse.

LE SCRIBE AUX PINCES D'OR

Sans pour autant le renier, il faut être conscient des carences du quatrième volet des aventures d'Indiana Jones, et force est de constater que Les Aventures de Tintin est en quelque sorte ce que son prédécesseur aurait dû être. Déjà, c'est mieux écrit. A la place d'un David Koepp un peu trop carré et appliqué, Spielberg est parti débaucher le talentueux Steven Moffat, qui après s'être illustré dans le milieu de la sitcom (cf. les intrigues alambiquées de Coupling), a accédé à tout autre statut en s'attaquant à des classiques (Jekyll, Sherlock) à tendance geek (Doctor Who) qu'il revisite avec toujours cette incroyable aisance à moderniser le matériau tout en restant fidèle à l'esprit et le tout au cours d'intrigues sans relâche parsemées de dialogues truculents, notamment parce qu'ils s'articulent autour de tandems (le Docteur et son Compagnon, Holmes et Watson) dirigés par un génie de la déduction. Si l'enquête menée par Tintin et Haddock est plus simple que celles dont Moffat a l'habitude, la dynamique ci-présente ne déroge pas à la règle. Moffat étant occupé par ses séries télévisées, Spielberg s'est ensuite tourné vers Edgar Wright et Joe Cornish (Attack the Block), tous deux réalisateurs, qui n'ont pas manqué à l'appel de venir travailler avec leur idole pour adapter Tintin, ayant sans doute contribué à certaines scènes d'action démesurées tout en assurant un humour britannique qui saurait ancrer le film dans une sensibilité européenne afin de ne pas tomber dans le blockbuster hollywoodien de base.

Bien évidemment, l'adaptation ne se fait pas sans heurt. Si l'on n'ira pas jusqu'à parler de faiblesse concernant le premier acte qui ne manque pas de charme, il est évident que le récit gagne en altitude dès l'arrivée de Haddock. Jusque là, ce n'est pas que c'est plus mou - parce qu'à y regarder de plus près, tout va très vite, l'intrigue commence dès la première scène et les séquences s'enchaînent très rapidement, ne laissant aucun temps mort - non, c'est juste que sans Haddock, Tintin passe son temps à parler à son chien (ou à parler tout seul), à grand renfort de "bon sang mais c'est bien sûr!". Et l'absence d'un véritable interlocuteur se fait ressentir, comme Hergé a dû le ressentir avant de créer Haddock. A l'instar des rares autres bémols du film, comme l'humour parfois un poil trop puéril, cela provient directement de la BD. Tintin a toujours été aussi neutre que possible, tant dans le dessin que dans la caractérisation du personnage, de manière à ce que le lecteur puisse s'identifier à lui, se projeter à sa place dans l'intrigue. C'est un protagoniste qui n'a pas d'arc - rôle qui échoit davantage à Haddock, c'est son Histoire qui guide l'histoire, sa dignité à réclamer, son alcoolisme à vaincre - et il n'est jamais aussi pertinent que lorsqu'il est face à autrui et qu'il doit ruser ou aider. Tout seul, le jeune reporter n'est pas très intéressant, d'où certaines scènes du premier acte où l'exposition paraît moins habile que par la suite où elle s'inscrit au cours de l'action (la rencontre Tintin/Haddock et la fuite du Karaboudjan, géniales) ou devient carrément l'action (le flashback sur la Licorne, fabuleux). Tintin est ici une sorte de vecteur presque abstrait (cf. comme Sakharine n'a rien à foutre de lui par exemple), presque un deus ex machina qui vient aider les autres personnages (les Dupondt, Haddock) tel un ange gardien. Ou tel E.T.

LE BIJOU DE STEVEN SPIELBERG

Ainsi voit-on parfaitement ce qui a pu intéresser Spielberg dans cette figure d'enfant-roi, orphelin qui n'est rien tant qu'il n'est pas entouré d'adultes, et qui se recompose une famille (Haddock le père, Tournesol la génération au-dessus) afin de les aider. Il est autant Indiana Jones (enfant-roi adulte dans Les Aventuriers de l'Arche perdue) que Demi-Lune (l'enfant qui doit ramener le père à la raison dans Indiana Jones et le temple maudit). En outre, au-delà du fait qu'il s'agit du plus célèbre diptyque de la série, Le Secret de la Licorne/Le Trésor de Rackham le Rouge est aussi une histoire de retour aux origines, au travers de la filiation ainsi que du foyer restitué. Deux thématiques spielbergiennes qui se retrouvent ici soulignées, voire même approfondies, comme en témoigne la réinterprétation du personnage de Sakharine, remplaçant les frères Loiseau comme principal méchant de l'intrigue qui le transforme en une sorte de Belloq dont l'Histoire le lie à Rackham. La réorganisation des trames des trois albums adaptés est vraiment pertinente. Le Secret de la Licorne sert de point de départ et compose le gros de l'intrigue, l'enquête, se fondant par la suite dans Le Crabe aux pinces d'or, qui amène Haddock et les principales péripéties, et Le Trésor de Rackham le Rouge passe globalement à l'as, n'apportant que son épilogue repris, avec une légère entorse pas forcément utile. Dans l'ensemble, on remarque une véritable intelligence dans la réappropriation des BD, dans la manière de rendre cette évolution organique. Ce n'est pas l'œuvre d'un puriste et ce n'est cependant jamais infidèle. Spielberg et Moffat trahissent pour mieux servir, se permettant même d'inclure un autre personnage de la série de manière assez amusante. Dès le générique, situé quelque part entre celui d'Arrête-moi si tu peux et celui de La Panthère rose, le ton est donné. Les Aventures de Tintin est une œuvre d'une densité formelle et narrative épatante. Un récit épique qui va à toute allure, au rythme de son héros typiquement spielbergien donc continuellement en mouvement, dans la course. Un film bourré de détails, d'idées visuelles géniales, de plans iconiques à tomber, de scènes d'action et de plans-séquences à couper le souffle. Une adaptation d'un matériau jugé inadaptable, avec beaucoup d'Histoire derrière lui, et pourtant rarement aura-t-on senti Spielberg plus libre, dans le ton, dans sa mise en scène...un bonheur de tous les instants. Un enchantement. Un bijou.

par Robert Hospyan

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