Au loin, les lumières

Au loin, les lumières
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Au loin, les lumières
Lichter
Allemagne, 2002
De Hans-Christian Schmid
Scénario : Michael Gutman, Hans-Christian Schmid
Avec : Sergej Frolov, Anna Janowskaja, Janek Rieke, Ivan Shvedoff, Maria Simon, Sebastian Urzendowsky
Durée : 1h45
Sortie : 14/04/2004
Note FilmDeCulte : *****-

Au carrefour de l’Allemagne et de la Pologne, là où coule le fleuve Oder, s’entrecroisent des destinées diverses. Ces existences clandestines, bourgeoises, prolos, amoureuses, déchirées, constituent un maillage désespéré mais rageur.

COMME ELLE EST BELLE LA VILLE ET SES LUMIERES

Il y a ce fleuve, infranchissable, à moins d’y mettre le prix. D’acheter les passeurs d’ombres, comme l’on monnaie les coups de pagaie sur le Styx. Ou de détenir le passe-droit social nécessaire, les pièces d’identité fiduciaires qui ouvrent les frontières et rendent accessibles les lumières du lointain. Autour de la ligne de démarcation fluviale, des existences s’agitent, chacune à ses (pré)occupations. On y trouve ceux qui se battent pour n’en avoir plus besoin, ceux qui n’ont déjà plus besoin de se battre, et ceux qui, clandestins, se battront toujours. De ce Short Cuts social, éparpillement humain obéissant et interagissant selon les lois de la jungle citadine, dont la seule verdure tient dans les billets, Hans-Christian Schmid tire les ficelles distendues. Une fois le maillage resserré, on le sait - la recette est au moins vieille comme Altman -, les vides se comblent, le contact se fait et des ponts se dressent en des endroits inattendus.

CELUI QUI VEUT IL LA DÉCOUPE EN TABLEAUX

Ainsi chemine le film choral, toujours captivant parce que dense (quels sont ces nouveaux visages?) et indécis (où se croiseront-ils? vont-ils même se croiser?). Effet de démontage fragmentaire, puzzle en petites coupures, le genre est ludique et/ou bourgeois. La force d’Au loin, les lumières va justement être, non de circonvenir, mais bien de ternir ces règles. Ainsi Schmid préfère-t-il la fatalité à l’inéluctabilité, opposant au cynisme évident d’une telle entreprise la beauté de la lutte, même vaine, accompagnant dans ce mouvement l’espoir et la conviction de ses personnages, certes coincés dans la machine, mais persuadés de pouvoir sauter d’un engrenage à l’autre. Ici, il ne s’agit plus pour le réalisateur de jouer avec ses pions, mais de les observer, passivement, dans leur résistance, ridicules et touchants. Un vendeur de matelas, sur la pente dure de la faillite et du surendettement, s’accroche encore aux branches pour ralentir sa chute. Une interprète chargée du dialogue entre les autorités et les clandos, croit encore pouvoir leur venir en aide. Un père de famille ruiné, désireux de sauver les apparences, s’improvise passeur mais ne parvient pas à juguler son humanité en conséquence… Et si tous vont dans le mur, tous au moins se seront débattus.

QUE NO SE PUEDE, LA VIDA NO VALE NADA

S’il ne s’agit pas dans Au loin, les lumières de révolutionner le genre, il s’agit avant tout de l’habiter et de maintenir éveillée son intrinsèque rythmique feuilletonesque, pour mieux la détourner. Schmid prend donc soin d’éviter l’événementiel spectaculaire, liant classique aux airs apocalyptiques des éventails cinématographiques (secousses sismiques dans Short Cuts, pluie de grenouilles pour Magnolia) afin, habilement, d’entretenir la cohérence esthétique documentariste de son long métrage. Ce faisant, ce sont les enjeux du film choral qu’il réactualise: à la philosophie épicurienne de Short Cuts, à la fresque historique de Nos Meilleures Années, au manichéisme réversible, éclaté et esthétisé de 21 grammes… répond le vérisme désenchanté, combatif mais surtout modeste d’Au loin, les lumières. On peut trouver ça, au choix, d’une simplicité candide ou cynique. Mais l’adjectif le plus pertinent serait sans doute pudique.

par Guillaume Massart

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