Attention danger travail

Attention danger travail
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Dans un contre-pied total à l’actuelle sacralisation de la valeur travail, Pïerre Carles et ses acolytes vont à la rencontre des "déserteurs du marché du travail".

Y’A PLUS DE VALEURS, MA BONNE DAME

"Après des années de propagande fallacieuse sur les loisirs, vous avez sifflé la fin de la récréation". De qui cet appel du coude au gouvernement? Du patron des patrons, le baron Seillière, à l’université d’été du Medef, en écho au "dans notre pays […], le travail a été dévalorisé" de Jacques Chirac, ainsi qu’à la diatribe de Jean-Pierre Raffarin envers "la relative dépréciation du travail et des vertus qui y étaient traditionnellement attachées". Dans un tel climat politique, socialement régressif, lourd de démagogie et réactionnaire en diable, Attention danger travail relève autant de l’audace impertinente que du suicide patenté. En donnant la parole à cette catégorie de chômeurs, dont le bon sens commun va jusqu’à nier l’existence, et qui a décidé de tirer une croix définitive sur le monde du travail, Pierre Carles et ses complices se font les avocats du diable dans une société partagée entre ses aspirations au loisir individuel et sa dénonciation constante d’une prétendue paresse collective. Voir la manière dont la faute de la canicule fut rejetée dans un premier temps sur les 35 heures, alors même que nos chers ministres se faisaient bronzer la couenne. Dans ces conditions, Attention danger travail a tout de la bouffée d’air impromptue, quasi-underground. Au beau milieu de cette cacophonie politique sans frein (droite et gauche confondues, qu’on se souvienne le magistral: "Nous ne voulons pas une société d’assistance mais une société fondée sur le travail et l’activité productrice", d’un certain Lionel Jospin, aujourd’hui en pré-retraite), Carles, Coello et Goxe balancent un joli pavé dans la mare sociale, qui mériterait de faire des éclaboussures.

LE TRAVAIL, C’EST LA SANTE…

Les habitués de Pierre Carles (un cercle d’environ 100 000 initiés si l’on en croit les scores d’Enfin pris! et de La Sociologie est un sport de combat) ont une vague idée de ce qui les attend à chaque nouvel opus du documentariste acerbe. A savoir un état des lieux social caustique et pertinent, quoique revanchard, souvent hilarant, parfois touchant, toujours engagé et rarement à l’abri de la polémique. Et si, effectivement, Attention danger travail répond bien à ce cahier des charges, il marque également une évolution dans la méthode du cinéaste, consécutive à la rencontre de ses deux compères. Aussi, c’est formellement que le film se démarque de ses grands frères. Si l’on retrouve l’ironie, le rythme, le force du montage et l’efficacité propre à Carles, il ne s’agit plus d’une "enquête" (les guillemets ne sont pas anodins) linéaire menée par une personnalité forte et un poil nombriliste. Ici, Carles s’efface, gagne en modestie, et n’est que partie d’un tout collectif, d’une compilation, bâtie en cercles concentriques autour d’un même thème. Ce que le film y perd en unité - esthétique notamment-, il le récupère en apparaissant pour ce qu’il est: la première partie, l’exposition, d’une démarche au long cours. Le principe est simple: il s’agit de donner à voir, à travers une sélection de matériaux divers (extraits de documentaires, pubs, clip, etc.), le monde du travail dans toute son absurdité. Ainsi, par la mise en parallèle d’expériences (l’épisode "Pizza Americana" de l’émission "Strip-Tease", par exemple, ou comment un livreur de pizza doit se plier à la norme, aussi stupide que soit celle-ci) et de témoignages (on retiendra particulièrement le poignant Avec le sang des autres, de Muel, qui date déjà de 1974), le trio Carles-Coello-Goxe pose les bases d’un débat nécessaire, à l’écran d’une part (ébauché par un Loïc Wacquant limpide, dans un extrait du très attendu Uppercut de Carles, à sortir en 2004), devant l’écran d’autre part (les murmures et commentaires à voix haute vont bon train dans l’obscurité). Débat appelé à être développé dans un second volet, Volem Rien Foutre Al Païs qui, comme de juste, fera sa fête au travail le premier mai 2004.

… NE RIEN FAIRE, C’EST LA PRESERVER

L’autre force d’Attention danger travail réside dans son absence de didactisme. Il ne s’agit pas - pas seulement dirons-nous - de servir un discours, mais également de donner à vivre, sage intention, un bon moment de cinéma. De fait, Attention danger travail n’est pas "Lundi Investigation"; il relève davantage, par son esprit, ses piques relevées et sa bonne humeur, de l’école Michael Moore. "L’humour n’interdit pas la rigueur, et permet sans doute d’atteindre la subversion là où un sérieux de circonstance aurait pu accoucher d’un réquisitoire fastidieux. Ça nous semblait d’autant plus nécessaire que le chômage est toujours évoqué avec des accents dramatiques, misérabilistes", explique Goxe dans un hors-série spécial de CQFD. D’avoir vu des salles entières littéralement écroulées de rire devant un Raffarin exalté, un Claude Allègre fuyant, un Douste-Blazy largué ou un Ernest-Antoine interdit, on ne saurait que lui donner raison. Et que rêver, doux mirage, au séisme que pourrait déclencher ce concentré de TNT s’il récoltait l’audience d’un 20 heures de TF1… Mais sans doute l’oisiveté motive-t-elle à outrance l’imagination: une seul et unique salle à Paris diffuse Attention danger travail la semaine de sa sortie. Et pour combien de temps? Sans doute suffisamment pour répondre à une dernière devinette de rigueur. De qui: "Notre jeunesse est mal élevée, elle se moque de l’autorité. Les enfants répondent à leurs parents et bavardent au lieu de travailler"? De Socrate, qui n’avait pas sa carte du Medef. Les temps changent, les mentalités, moins.

par Guillaume Massart

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