Arrête moi si tu peux
Catch me if you can
États-Unis, 2002
De Steven Spielberg
Scénario : Jeff Nathanson
Avec : Nathalie Baye, Leonardo DiCaprio, Tom Hanks, Martin Sheen, Christopher Walken
Photo : Janusz Kaminski
Musique : John Williams
Durée : 2h21
Sortie : 12/02/2003
Avant d'atteindre l'âge de 18 ans, Frank Abagnale Jr. figurait sur la liste des 10 personnes les plus recherchées par le FBI pour avoir détourné des milliers de dollars et personnifié tour à tour un pilote, un médecin, un avocat...
Depuis 25 ans, le projet d'adaptation des exploits de Frank Abagnale Jr. était resté dans les cartons. Après être passé entre les mains de Cameron Crowe, Lasse Hallström et Gore Verbinski, le flambeau a été repris par Steven Spielberg, jusque là simple producteur. On était en droit de se demander alors ce qui pouvait l'intéresser dans ce pitch somme toute assez classique. Il ne fait désormais aucun doute que l'auteur s'est approprié pleinement son sujet: la réaction d’un jeune homme à l'annonce du divorce de ses parents et son passage à l'âge adulte à travers des escroqueries extraordinaires. Le thème de la famille désunie s'est toujours retrouvé dans les films de Spielberg (l'absence d'un père illuminé dans Rencontres du 3e type ou Indiana Jones et la dernière croisade, l'enfant séparé de ses parents dans L'Empire du soleil ou A.I., la perte d’un enfant dans Minority Report) mais jamais depuis E.T. le réalisateur, dont les parents se sont séparés, n'avait aussi directement évoqué sa propre histoire. Ce sont les conséquences directes de cette séparation qui sont abordées ici. L'enfant se réfugie alors dans son propre monde, et se procure un mécanisme de défense comme on peut le constater lors d'une scène qui renvoie directement à un épisode de la vie de Steven Spielberg: mal accueilli dans sa nouvelle école, Frank se fait passer pour un professeur remplaçant afin d'éviter les brutalités de la part des autres élèves. La "fraude" rappelle l'anecdote bien connue du jeune Spielberg âgé de seize ans, qui pénètre les studios Universal vêtu d'un beau costume noir et d'un attaché-case. Le vigile l'avait pris pour le fils du patron. Le parallèle entre le réalisateur et son protagoniste se poursuit encore plus loin: là où Frank s'est créé plusieurs fausses identités, vivant dans le mensonge, Spielberg est devenu cinéaste, passant lui aussi sa vie dans l'illusion. Dans cette optique, on pourrait comparer cette séquence à la découverte de ses super-pouvoirs par un héros de bande dessinée. Cette première petite arnaque préfigure son avenir.
Visuellement, le film suit cette évolution. Lorsqu'on le découvre au début du film, Frank apparaît comme un jeune garçon sans relief, sans problèmes. Les décors de couleurs ternes reflètent la monotonie de cette vie tranquille. Puis Frank se met à tricher et, plus il déploie ses capacités et accomplit ses épatants méfaits, plus l'environnement s'enrichit en couleurs. Le directeur de la photographie Janusz Kaminski illumine le tout d'un aspect presque onirique, représentation de l'illusoire bonheur dans lequel évolue cette véritable star qu'est devenue Frank, mais aussi de l'époque où se déroulent les événements. Nous sommes dans les années 60. Spielberg évoque la naïveté de ces temps-là comme l'une des raisons ayant permis à un surdoué comme Frank d'être crédible. On remarquera l’apparente crédulité qui caractérise la majorité des femmes séduites par Frank. Intervient ensuite le personnage de Brenda, qu'on qualifiera alors d'innocente, ou de sincère. Une qualité qui ne pouvait que plaire à cet imposteur marqué par le mensonge au sein de son foyer et déçu par les adultes, plus particulièrement sa mère. Après avoir surpris sa mère avec un autre homme, Frank apprend qu'elle quitte son père, un homme qu'il adulait mais qui semble être aux yeux des autres un raté. Cette désillusion engendre donc directement sa fugue vers une nouvelle ère, celle des secrets, des mensonges et donc du faux. A ce stade de sa vie, il tente de garder un lien avec son père, mais leur éloignement est inévitable. Un rapprochement s’effectue alors entre Frank et l'agent du FBI qui le traque, Carl Hanratty, destiné à devenir un père de substitution pour le jeune homme, qui le fascine.
Carl est un homme droit. Il incarne la vérité. Il est tout ce que Frank n'est pas. Il évolue dans un univers en contraste absolu avec celui de Frank. Un monde monochrome, de blanc et de noir, de bureaucrates maladroits comme lui (en opposition à l'aisance naturelle de l'escroc). Ceux-ci sont souvent filmés à l'épaule, là où Frank est sublimé par une mise en scène fluide et classe. Ils sont des agents du gouvernement mais c'est Frank qui est comparé à James Bond. L'espace d'un instant, on croirait reconnaître en Carl et ses deux adjoints les Keystone Cops d'une comédie burlesque. Mais Carl n'est pas une simple caricature pour autant. On n’assiste pas à un simple jeu du chat et de la souris mais au lien entre ces deux personnes qui, par coïncidence, ne se parlent que le jour de Noël. Peut-être que cette date symbolise la désillusion mentionnée plus haut. L'existence du Père Noël n'est-il pas le premier mensonge auquel tout enfant croit avant d'être indéniablement déçu, voir trahi, lorsqu'il apprend qu'il s'agit d'une création de toute pièce, perpétuée par ses parents?
Le jeu qui domine la majeure partie du film cède la place à la fatalité tout comme Frank doit délaisser l'enfance pour la maturité. Ce choix est au centre d'une des toutes dernières séquences du film, juste avant sa conclusion. Arrête-moi si tu peux n'est finalement pas ancré dans la comédie autant qu'on aurait été tenté de le croire. Il s'agit certes de la plus évidente incursion dans le genre de la part de l'auteur depuis 1941 mais la veine humoristique du film s'apparenterait plus à celle qui traverse Indiana Jones et la dernière croisade. L’humour n'est pas l'orientation principale du film. Cependant, on ne peut nier que Spielberg s'amuse derrière la caméra avec un film léger comme celui-ci, se distinguant du pessimisme de ses deux précédents efforts. Comme à l'accoutumée, le réalisateur en profite aussi pour signer une œuvre cinéphile, qui fourmille de références, de La Panthère rose à James Bond (dont il voulait autrefois réaliser un des épisodes), en passant par François Truffaut par l'intermédiaire de Nathalie Baye (dirigée trois fois par le cinéaste français). Encore une fois, il nous offre un spectacle irréprochable, à la technique splendide et aux performances incroyables, à la fois drôle et touchant. Pourquoi chercher à l’arrêter?