Ararat

Ararat
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Ararat
Canada, 2002
De Atom Egoyan
Scénario : Atom Egoyan
Avec : David Alpay, Charles Aznavour, Eric Bogosian, Bruce Greenwood, Arsinée Khanjian, Christopher Plummer
Durée : 2h06
Sortie : 04/09/2002
Note FilmDeCulte : ****--

Edward Saroyan, réalisateur réputé, entreprend la réalisation d'un film sur le génocide arménien. Il engage Ani, arménienne et professeur, comme conseillère, et celle-ci parvient à donner un petit boulot à son fils Raffi, qui nous raconte son Histoire...

"Qui se souvient du génocide des Arméniens?"

Selon un des personnages du film, ces quelques mots auraient été prononcés par Adolf Hitler pour convaincre de la possibilité du massacre des Juifs. La question n'est pas de savoir si oui ou non le chancelier nazi est bien l'auteur de ces propos, mais de s'interroger sur ce qu'ils ont engendré. Atom Egoyan n'a pas réalisé un film sur le génocide arménien de 1915 mais une étude sur le devoir de mémoire, sur notre obligation à ne pas laisser sombrer dans l'oubli de telles tragédies. Une négligence de la sorte engendre non seulement la possibilité que de pareilles atrocités se renouvellent, mais aussi la perte pour tout un peuple d'une culture et d'un passé inhérent à chaque civilisation. C'est à travers un travail sur la recherche de ses propres origines qu'Egoyan symbolise cette quête de reconnaissance, de vérité qui caractérise les conséquences du génocide arménien. Par l'intermédiaire de plusieurs personnages et de plusieurs histoires, l'auteur représente différentes figures et points de vue du monde d'aujourd'hui. Il y a donc, au centre, ce film dans le film, intitulé Ararat, qui est en réalité le film qu'Egoyan ne peut se permettre de faire. Il n'est pas possible pour lui d'aborder le génocide arménien de façon fictionnelle, il n'est pas question pour lui de réaliser sa Liste de Schindler. Il délègue alors cette tâche à son double diégétique, le réalisateur Edward Saroyan, qui tourne cette fresque romancée à sa place, et quant à lui, il prend la responsabilité de ne pas faire un film sur les évènements mais sur un constat de l'actualité des choses. Il montre alors le processus de fictionnalisation de l'Histoire par le scénariste et le réalisateur qui, malgré le recrutement d'un professeur de l'Histoire de l'Art comme conseillère, modifient quelque peu la vérité.

Leur film est l'adaptation d'un ouvrage qui existe réellement, le journal de Clarence Ussher, médecin ayant assisté au génocide. Il y a une scène dans leur scénario adapté d'un passage du journal où Ussher retranscrit le témoignage d'une femme allemande présente lors de tortures infligées à de jeunes mariées arméniennes; on voit donc comment un événement est interprété et réinterprété à travers le temps, perdant peut-être de sa véracité, tout comme ce tableau, tiré d'une photo, elle-même inspirée d'une gravure sur une église arménienne. Cependant, Egoyan insiste sur l'importance du témoignage, de la transmission de notre Histoire de génération en génération, afin de ne pas oublier. Cette scène-là a donc une double signification, elle est à la fois une interprétation probablement un peu faussée de la vérité mais elle constitue néanmoins un récit important car elle présente un rapport de ce qui se passait à l'époque. C'est ainsi qu'Egoyan dédouane son alter ego filmique. Il a beau faire un film où le personnage principal est un Américain qui sort sur son perron avec en arrière-plan un drapeau des Etats-Unis battant au vent, où l'Histoire est légèrement manipulée pour être conforme à une structure qui ne déplaira pas au grand public, mais il réalise quand même une œuvre sur un passage méconnu de l'Histoire.

Après avoir évoqué son intégrité en tant que réalisateur à travers ce personnage reflet de lui-même, Egoyan confère aux autres protagonistes leurs propres symboles. Fils du professeur évoqué plus haut, Raffi est un jeune homme de 18 ans qui va soudainement partir à la poursuite de ses origines, en quête de quelque chose, d'une sensation... Il est initialement motivé par Célia, sa demi-sœur ainsi que celle qu'il aime. Ce personnage souffre de l'intrigue la plus maladroite du film. Elle apparaît comme désagréable et rancunière à travers cette passion qu'elle voue à sa propre cause: découvrir la vérité sur son père. Elle va transmettre cette curiosité à Raffi et son rôle semble se limiter à cette fonction, laissant un goût d'inachèvement à l'histoire qu'elle traverse. Par contre, Raffi, représentant de toute une génération d'enfants et d'adolescents arméniens ignorant réellement leur passé, parvient non seulement à trouver et donc à ressentir ce qu'il cherchait, mais il aura transmis son Histoire à un douanier américain âgé qui n'était pas au courant de ce passé tragique.

Le choix d'avoir fait de ce personnage un fonctionnaire occidental mûr et croyant n'est pas innocent. Il représente la masse, l'homme moyen. Il représente une majorité de gens sur Terre qui ne sont toujours pas conscients de cette haine qui a existé, et qui existe encore. L'oubli entraîne la probabilité de commettre les mêmes erreurs. Il y a un personnage à moitié Turc dans le film. Dans un dialogue où Raffi le confronte concernant son opinion sur la position du gouvernement turc, il lui répond que tout deux ont grandi dans un pays autre que celui de leurs origines et que l'existence du génocide arménien ne fit pas partie de son éducation. Il conclue alors d'un "c'est du passé, tout ça". L'auteur utilise ce personnage pour situer le point de vue turc. Il ne blâme pas vraiment le personnage et tend même à le pardonner en accusant la façon dont il a été élevé, lui et tant d'autres. Quand on voit que même quelqu'un d'origine arménienne ne peut comprendre réellement son passé, alors quelle chance ont les turcs, ou même les autres nationalités, d'assimiler le génocide arménien comme tragédie historique que l'on ne peut négliger?

Avec l'alternance et parfois même l'amalgame entre la réalité et les scènes du film dans le film, figure de style volontaire illustrant la difficulté de faire la part des choses concernant cette page de l'Histoire, la structure d'Ararat est parfois déconcertante. Ce processus légèrement bancal ainsi que la thématique et le symbolisme qui traversent l’œuvre d'Atom Egoyan font du film un pensum intelligent sur l'Histoire et la mémoire. Sacrifiant l'émotion pure au profit d'une richesse analytique, l'entreprise du réalisateur nous rappelle qu'il est important de ne pas négliger ce qui resterait sinon des "détails" de L'Histoire. Ne jamais oublier.

par Robert Hospyan

En savoir plus

Atom Egoyan

Plasticien hors norme, Atom Egoyan est un citoyen du monde. Il est né au Caire en Egypte en 1960, a vaincu l’essentiel de sa vie à Toronto au Canada et a toujours revendiqué ses racines arméniennes. Dès son premier film en 1984, Next of Kin, cet ancien élève de l’Université de Toronto s’intéresse à la crise de la cellule familiale et au pouvoir des images.

The Adjuster est présenté dans la section Un Certain Regard à Cannes mais la révélation cinéphile n’intervient qu’en 1994 avec la sélection en compétition officielle d’Exotica. Ce magnifique film sur les apparences, le voyeurisme et la rédemption obtient le prix de la critique internationale. Dès lors, Atom Egoyan, cinéaste surdoué, devient un chouchou du Festival et ses films sont toujours sélectionnés en compétition officielle. De Beaux Lendemains présenté en 1997 est couronné du Grand Prix du jury.

Ararat, film sur le génocide arménien et le rôle de la mémoire collective, a soulevé une levée de boucliers de la part du gouvernement turc. Des pressions auraient été exercées pour empêcher le tournage et la sortie du film. Ararat, pour des raisons diplomatiquement personnelles, est présenté hors compétition.

Filmographie sélective

2002 Ararat 2000 Le Voyage de Félicia 1997 De beaux lendemains 1994 Exotica 1993 Calendar 1991 The Adjuster 1989 Speaking Parts 1987 Family Viewing 1984 Next of Kin

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