Annette

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Annette
France, 2021
De Leos Carax
Avec : Marion Cotillard, Adam Driver
Photo : Caroline Champetier
Durée : 2h20
Sortie : 07/07/2021
Note FilmDeCulte : *****-
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Los Angeles, de nos jours. Henry est un comédien de stand-up à l’humour féroce. Ann, une cantatrice de renommée internationale. Ensemble, sous le feu des projecteurs, ils forment un couple épanoui et glamour. La naissance de leur premier enfant, Annette, une fillette mystérieuse au destin exceptionnel, va bouleverser leur vie.

PHANTOM OF THE ORPHEUM

Dès le premier de nombreux parti-pris audacieux d'un film assumant son artificialité, avec cette chanson annonciatrice en guise de générique, Annette se fait étrangement séduisant. Cette ouverture n’est que le premier indice qu'il s’agirait d’une œuvre d'une densité proprement écrasante, tour à tour aussi volontairement mal-aimable que son personnage principal et vertigineusement touchante en dépit de sa nature factice affichée, et utilisant le genre pour établir un constat amer sur le rapport de l’artiste au monde qui l’entoure, son public.

D'emblée, le film s'inscrit donc dans une approche post-moderne du musical. A l’origine du projet, il y a le groupe Sparks dont la carrière s’étale sur près de 50 ans et fait l’objet d’un documentaire également à l’affiche évoquant notamment leur goût pour les chansons ironiques et conscientes d'elles-mêmes (cf. "Music You Can Dance To" écrite en réponse à une maison de disques qui leur demandait précisément cela, d'être plus commercial). Fort de cette information, on est en mesure de mieux appréhender et apprécier les choix opérés ici, comme pour la chanson "We Love Each Other Very Much" dont les paroles au premier degré presque prohibé tant elles refusent le moindre sous-texte passent presque pour de la parodie de comédie musicale, où l’on chante ce que l'on pense sans filtre. Et pourtant, de la simplicité presque mièvre du morceau émane une incontestable vérité, celle de jeunes amants qui ne voient en cet instant que la pureté de leur amour. Derrière l'humour il y a donc une épure et surtout une mise à nu, propre au genre - parler c'est une chose, chanter est tellement plus risqué et révélateur - qui vaut également pour la façon dont l'ouvrage n'a de cesse de rappeler son caractère factice. Il ne s'agit là aucunement d'une manière de se dédire de faire une comédie musicale, comme si le film ne s'assumait pas, mais de renvoyer sans cesse le vrai au faux.

En prenant pour protagonistes une soprano et surtout un stand up comedian qui joue vraiment un personnage détestable sur scène, Annette développe un propos sur le rapport à la performance, à la mise en scène de soi et de sa vie et donc du rapport entre l'artiste et le public. Ce dernier sert à plusieurs reprises de chœur dans diverses chansons et il a tôt fait de se retourner contre celui qu'il a porté aux nues. La notion de célébrité traverse le film, avec notamment ces flashes info people (aux incrustations délibérément fake), mais la question de l'adulation est bien plus au cœur du récit. Très vite, le film fait penser à...Funny People de Judd Apatow. Dans une chanson, on peut entendre "Why are you a comedian?" et l’on ressent ce besoin maladif pour Henry (Adam Driver, en mode Kylo Ren stand upiste) de faire rire ses spectateurs mais aussi sa femme. Un besoin qui trahit un désir de domination, contrairement à ce qui motive Ann (Marion Cotillard, tout aussi dévouée dans un rôle plus ingrat), comme le cerne très bien ce magnifique échange lorsqu'ils se retrouvent après avoir chacun été sur leurs scènes respectives et qu'elle lui demande comment ça s'est passé, il répond "I killed them. And you?" et elle rétorque "I saved them". Dans ses opéras, elle n'a de cesse de mourir pour émouvoir son public. Et c'est là qu'on touche à ce qu'Annette traite en particulier, comment on sacrifie ceux qui nous aiment par besoin d'être aimé de plus.

Ainsi, lorsqu'arrive le personnage qui donne son titre au film, le bébé Annette, le choix le plus casse-gueule d'un exercice déjà très "agile et fragile" pour citer les paroles d'une autre chanson du film, à savoir représenter la petite fille comme une marionnette, on est pris par surprise. L’espace d’un instant, on se croirait chez le Roland Topor de Téléchat ou Marquis, mais cette idée s’avère également la plus parlante vis-à-vis de la démarche générale, tant esthétique que thématique, une nouvelle exacerbation de l'artificialité pour dénoncer l'exploitation de l'intimité au service de l'art...ou de l'adulation donc. Et le tour de force du film est de réussir à rendre le pantin à la fois creepy et touchant. Pari indéniablement clivant, Annette est un film comme on en voit trop rarement, plongeant de très haut les bras grand ouverts, prenant tous les risques, pour mieux exprimer sa vérité, le long de chansons et d’une musique lyriques et tragiques, entre Phantom of the Paradise et Le Fantôme de l'Opéra, que Carax met en scène avec toute l’emphase qu’il se doit.

par Robert Hospyan

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