Les Amitiés invisibles
Die Lügen der Sieger
Allemagne, 2014
De Christoph Hochhaüsler
Scénario : Christoph Hochhaüsler, Ulrich Peltzer
Avec : Florian David Fitz
Durée : 1h52
Sortie : 18/11/2015
Macho et flambeur, Fabian est aussi un excellent reporter. En enquêtant sur un scandale lié au contournement des réglementations dans la gestion des déchets toxiques, il découvre une collusion d’intérêt entre le gouvernement, l’armée et des consortiums industriels. Plutôt que de le neutraliser, un groupe de puissants lobbyistes et de conseillers politiques tente de mener le journaliste sur une fausse piste, en lui fournissant des renseignements erronés et en utilisant sans modération la surveillance numérique. Sa pugnace stagiaire Nadja va-t-elle permettre à Fabian de réaliser qu’il est manipulé ?
QUE DES MENSONGES
On aurait pu croire l’école de Berlin étriquée dans ses figures récurrentes de femmes-fantômes ou de forêt, mais ce serait oublier que le mouvement et ses principaux représentants ont eu le temps et le talent d'évoluer. En effet, la manière de faire si particulière des membres de cette école se retrouve désormais dans des genres cinématographiques populaires, tels que le film historique (Phoenix de Christian Petzold), la comédie (Superegos de Benjamin Heisenberg) ou ici le thriller politique. Die Lügen der Sieger, le titre original des Amitiés invisibles fait référence à la citation de l'historien français Adrien Goetz : « L'Histoire est un mensonge raconté par les vainqueurs ». Que croire de ce que l'on voit et de ce que les médias nous rapportent ? Que croire de la vérité qu'on nous impose ? A l'heure où une poignée d’industriels milliardaires détiennent la majorité des médias français, et où les États-Unis mettent le monde entier sur écoute (même si le film a été écrit avant que l'affaire Snowden n'éclate), le film d'Hochhäusler fait moins office d'une angoissante anticipation que d'un amer constat.
En suivant l'enquête de deux jeunes reporters à la fois manipulés et manipulateurs malgré eux, Christoph Hochhäusler (déjà auteur de l'excellent Sous toi la ville) fait un pari narratif exigeant : pour mieux coller à la paranoïa des protagonistes, certaines parties du récit, certaines explications, sont volontairement laissées dans le flou. L'incertitude et l'angoisse des journalistes devant ainsi devenir la nôtre. Et ça fonctionne... mais pas tout le temps non plus. La limite entre mystère et frustration est parfois mince. En revanche, les meilleures scènes du film se détachent moins par leur écriture que par leur mise en scène : reflets glacés et couleurs chatoyantes qui s'entrechoquent dans un montage parfois virtuose.
On pourrait dire que c'est l'autre pari du film : rendre sexy un récit de chantage médiatique qui ne l'est pas du tout. De ce coté-là, la réussite est plus flagrante. Au-delà d'une richesse visuelle (qui donne envie de pleurer quand on repense à nos polars français tous bleus-gris), c'est aussi une affaire de personnages. Les deux comédiens principaux pourraient avoir l'air presque trop sexy pour jouer autre chose que des mannequins (soit dit en passant, on voit plus souvent le mec nu que la fille, ça change), mais chacun se révèle très crédible dans des rôles ambigus et pas évidents. L'attention toute particulière portée aux costumes est remarquable, car elle crée en filigrane une sorte de fascination en même temps qu'un trouble : Fabian et Nadja sont nonchalamment séduisants, jusqu'à en devenir perturbants. Comme s'ils l'étaient presque trop pour être honnêtes, ou plutôt comme si on ne les voyait qu'à travers leurs regards respectifs, désirants et déformants.
Car Les Amitiés Invisibles est un film sur le point de vue, au moins autant qu'un film sur le journalisme. C'est à travers celui de Fabian que nous suivons l’enquête, mais c'est justement la manière dont ce dernier observe tout ce qui extérieur à son travail, qui fait décoller l'histoire. Fabian est jeune et beau, conscient de l'être au point de devenir macho, condescendant avec les femmes comme envers tout le monde. On le voit faire l'amour avec une fille, mais très vite on se rend compte que cette scène n'existe que dans son imagination. Plus tard, une deuxième scène le montre conquérant enfin Nadja, mais de par son incroyable sens du montage (à ce niveau, c'est véritablement la meilleure scène du film), il nous est rendu impossible de savoir si cela relève encore du fantasme ou non. L'ascendant que Fabian imagine avoir sur les femmes, donc sur le monde extérieur, sur la vérité, s'effrite sous nos yeux et sous les siens. Au-delà de cette histoire de manipulations multiples, c'est ce moment pivot pour le personnage qui apporte au film une amertume émouvante et inattendue.