Ambulance
États-Unis, 2022
De Michael Bay
Avec : Jake Gyllenhaal
Musique : Lorne Balfe
Durée : 2h16
Sortie : 23/03/2022
Will Sharp, un vétéran décoré fait appel à la seule personne indigne de confiance, son frère adoptif Danny pour trouver l’argent afin de couvrir les frais médicaux de sa femme. Ce dernier, un charismatique criminel au long cours, au lieu de lui donner de l’argent, lui propose un coup : le plus grand braquage de banque de l’histoire de Los Angeles : 32 millions de dollars. Will, prêt à tout pour sauver sa femme, accepte. Mais quand leur affaire prend un tour spectaculairement désastreux, les deux frères n’ont pas d’autre choix que de détourner une ambulance avec à son bord un flic mortellement blessé et l’ambulancière Cam Thompson...
PIN PON MOTHERFUCKER
Le parcours du Michael Bay, notamment post-saga Transformers, continue d'être intéressant et de montrer la particularité du cinéaste, même à Hollywood. Son enfermement au sein d'une licence tend à faire oublier que Bay a émergé à une époque où les blockbusters originaux étaient encore la norme. En effet, à l'exception de Bad Boys II et des Transformers, le metteur en scène n'a jamais réalisé de suite ou d'adaptation. De The Rock et Armageddon à The Island et Six Underground, quand Michael Bay ne s'intéresse pas à des faits réels, il affectionne le film d'action high concept. Ambulance ne déroge pas à la règle. Bien qu'il s'agisse du remake d'un film danois, le film ne garde de l'original que son point de départ, l'éloigne de la comédie, ce qui est étonnant pour Bay, et lui rajoute une heure. Et pourtant, Ambulance est un shoot d'adrénaline pure. Comme si la poursuite en voitures de The Rock s'étalait sur 2h16. Nonobstant la durée du film, il s'agit d'un des plus mesurés de son réalisateur, un exercice de style énergique comme jamais, sans gras, mais incarné par les obsessions de l'auteur qui marque une nette évolution. Que les John Wick et The Equalizer de ce monde en prennent de la graine : c'est comme ça qu'on fait un thriller '90s.
Les films de Michael Bay s'articulent souvent autour d'une dynamique entre deux personnages masculins gentiment antagonistes, avec un dominant et un dominé. Ce dernier apprend à devenir le dominant au contact de l'autre qui ne fait que le chambrer. Ce faisant, le protagoniste il devient un homme, un processus qui passe régulièrement par la nécessité d'un sacrifice (qui consiste souvent à tuer quelqu'un donc à perdre son innocence). La récompense réside souvent dans une certaine idée de la domesticité, représentée par la paternité. Ici, la toxicité est adressée et le dominant n'est pas un modèle, il est le démon. En un sens, Ambulance est l'anti-Bad Boys. Un anti-buddy movie sur la toxicité d'un rapport fraternel où tout le film, tout le récit de cette fuite en avant effrénée, cette galère dans laquelle le grand frère embarque son cadet, est métaphorisé dans l'action. Le concept même sert de développement des personnages. Quand est-ce que ça va s'arrêter (cette ambulance et ce rapport toxique)?
Par ailleurs, c'est le Bay le plus woke ever. Lorsqu'un personnage homosexuel apparaît soudain à l'écran, on est pris d'un frisson, prêt à grimacer face à l'inévitable caricature homophobe comme le coiffeur de The Rock ou le couple gay de Bad Boys II, mais il n'en est rien. Au contraire, le personnage n'est pas là pour faire rire dans une scène, il s'agit d'un vrai personnage secondaire, intelligent et digne qui plus est. Un peu plus tôt, on a également eu droit à un personnage féminin de techos en surpoids mais qui n'est jamais le dindon de la farce, c'est même elle qui charrie les autres. Et le personnage de Jake Gyllenhaal est non seulement un mâle toxique, il est aussi blanc et riche, contrairement à son frère noir et pauvre. Et l'ambulancière est une femme d'origine hispanique, jamais objectifiée et avec son arc propre. D'ailleurs, la choralité du film, assez inattendue, est plus qu'appréciable. Depuis que le marketing mettait en exergue le "LA" dans Ambulance, on se demandait si Bay allait vraiment faire de Los Angeles un personnage du film comme Michael Mann pouvait le faire dans Heat (à laquelle la scène de fusillade fait inévitablement penser, en version chaotique) ou Collatéral (auquel le pitch fait penser) et si la ville joue inévitablement un rôle, que ce soit son Downtown tout en gigantisme fait de gratte-ciels ou ses quartiers populaires au street art envahissant (sublime vision des ponts surplombant l'aqueduc asséché, avec ces yeux géants lourd de sens taggés dessus), ce sont surtout ses nombreux acteurs qui confèrent une dimension d'ensemble au récit. Le premier acte prend le temps de présenter les deux frangins, l'infirmière, le flic qui va être pris en otage et son partenaire qui va essayer de le sauver et même d'autres personnages qui arrivent de manière plus tardives, dans le camp des poursuivants ou dans ce gang mexicain hérité d'un Tony Scott. Tous existent, aucun n'est là comme pour assurer une bête fonction, genre Méchant ou Sidekick Comique. D'ailleurs, c'est avec The Rock et The Island le film de Bay le plus dénué d'humour. Il y en a, saupoudré ça et là, mais jamais de façon vulgaire, jamais le film ne s'arrête pour une scène de comédie avec un acteur en roue libre. Les touches de comédie ne paraissent jamais hors sujet, elles sont toujours insérées de façon organique, notamment grâce à un Gyllenhaal en feu, de plus en plus fou au fur et à mesure que le film progresse.
Comme pour les deux films susmentionnés, Bay fait montre ici d'une grande retenue. L'emphase est très ponctuelle, les ralentis peu nombreux et l'iconisation et l'héroïsation en sourdine. Un parti-pris surprenant qui paraît résulter de deux raisons majeures. La première de ces raisons est pragmatique : la démarche du film favorise l'énergie et la tension. Il est réjouissant de voir le retour du Bay qui prend le temps de mettre en scène la tension, de construire son action en fonction, de faire monter la sauce, aidé par une partition incroyable de Lorne Balfe qui met le spectateur sous pression. La caméra portée du début, les travellings circulaires oppressants lorsque Danny essaie d’enrôler Will, l’arrivée dans la banque... "On ne s'arrête pas" ne cessent de dire nos deux braqueurs et c'est le mantra du film, pas uniquement de son concept narratif (la course-poursuite) mais de son approche esthétique. Le film ne saurait ralentir pour un ralenti. Il suffit de voir ces plans tournés au drone FPV, petite nouveauté chez Bay. Dans un premier temps, ils permettent au cinéaste de faire le type de plans ultra-rapides et abusés où la caméra se glisse partout comme il l'avait entamé sur Pearl Harbor et exacerbé sur Bad Boys II mais sans le trucage numérique, retrouvant sa passion pour le tournage en dur. Mais surtout, à l'instar d'un Panic Room où la caméra se faisait carrément démiurgique, ici, ces plans FPV, c'est Bay fait caméra, le dynamisme et l'urgence personnifiés. Des changements de direction en plein milieu de plan survolant les immeubles, assumés, comme si elle était attirée, aimantée par l'action, semblent évoquer un sens propre à Michael Bay. Une folie. Vertigineuse. Après tout, le titre même du film évoque étymologiquement la notion de mouvement.
Outre son retour aux cascades en plateau (à l'exception d'une collision en 3D pas jojo), c'est aussi une confirmation, après Six Underground, du retour du cinéaste à une incarnation du corps mis à mal. Dans son précédent opus, on pouvait voir une scène quasi-identique, avec une actrice sosie, d'une infirmière devant soigner une blessure par balle en pleine course-poursuite mais les effusions de sang étaient joués pour la blague, un ressort comique de film commentant sans cesse sur sa nature et son concept de riches se prenant pour des héros, les confrontant à la réalité du sang. Ambulance, c'est ça, en plus gore et sans l'humour. Même les improbables auto-citations riment avec auto-dérision et entérinent ce programme : le réel n'est pas comme la fiction. Les personnages de films de Michael Bay regardent des films de Michael Bay mais quand ils se prennent pour des personnages de Bay, ils se plantent Ainsi, le corps comme victime des actes des protagonistes est au cœur de l'histoire, littéralement. Omniprésent, il est un rappel du bourbier et de la responsabilité qui incombe aux fuyards. D'ailleurs, l'écriture est étonnamment solide dans ses rebondissements, aussi poussifs soient-ils, pour tenir sur la durée (avec peut-être un moment au milieu où y a une légère longueur).
L'autre raison justifiant l'absence des effets de style les plus ostentatoires de Michael Bay réside sans doute dans le fait qu'il n'y a pas de héros dans cette histoire. L'auteur reprend sa figure du soldat sacrifié qui a recours au crime, comme le Général Hummel dans The Rock, mais il n'y a plus de cause de revendication. Cette fois, c'est personnel. Madame est malade, l'opération n'est pas couverte par l'assurance, va falloir trouver l'argent ailleurs. Pour schématiser, c'est plus Breaking Bad que The Rock. La morale bayienne demeure : no pain, no gain, no sacrifice, no victory, mais avec un constat plus ambigu qu'à l'accoutumée. Sur ce point-là comme sur les autres évoqués plus haut, une chose est sûre : Michael Bay a évolué.