Allez, Yallah!
France, 2006
De Jean-Pierre Thorn
Scénario : Jean-Pierre Thorn
Durée : 1h56
Sortie : 22/11/2006
Sous des tentes berbères dressées chaque jour dans une localité différente, au coeur des douars et bidonvilles du Maroc comme des banlieues déglinguées de France, une poignée de caravanières - musulmanes et non musulmanes - réunissent les femmes dans l'espace public pour dire leurs droits, prendre conscience de leur force et danser leur soif de liberté.
A PROFUSION
Qui connaît un peu le cinéma de Jean-Pierre Thorn sait les qualités qu'il recèle: humanisme non-feint, croyance en la vigueur politique du documentaire, dévoilement donc transparence du dispositif de captation, grande proximité filmeur-filmés... Les défauts qui le minent résultent paradoxalement de cette grande sincérité: militantisme trop appuyé, technique négligée, public acquis d'avance et conforté dans ses attentes... Alley, Yallah! ne déroge pas à la règle, qui déborde près de deux (trop longues) heures durant d'un engagement politique actif et vivant, joyeux dans l'adversité, généreux en bonne chère, couleurs et musiques. Difficile dans ces conditions de ne pas adhérer au juste combat des caravanières contre les archaïsmes sociaux, la rigidité des traditions ou la dangerosité des intégrismes. L'indignation est légitime, l'action plus que louable et la simplicité qui anime le tout absolument saine. Le film s'enlise toutefois, à plusieurs reprises, dans la célébration de cette belle dynamique et l'on sent Thorn rechigner à resserrer un montage qui n'en aurait pourtant pas souffert, les temps "faibles" — ceux où tout coule sans accroc — s'éternisant et amoindrissant les temps "forts" — ceux où la machine s'enraye.
On en retiendra un en particulier: de passage dans un collège de banlieue française, les caravanières prennent la température des mentalités. On s'interroge sur la place de la femme dans la cellule familiale et, par extension, la société. Rapide sondage parmi les élèves, rires gênés, interventions banales. Soudain, un visage flouté prend la parole. La jeune fille est tout de rose vêtue, porte une casquette fashion, laisse apparaître de longs cheveux très noirs, des boucles d'oreille, sans doute du maquillage. Elle ne dépare aucunement d'avec le groupe, son discours est d'ailleurs émaillé des mêmes tics de langage. Mais ce qu'elle dit, avec une décontraction et une conviction désarmantes, tétanise: la femme n'a sa place ni à l'école ni au travail, un homme peut battre sa femme s'il juge qu'elle a fauté, etc. Autant de certitudes solidement ancrées et dont on n'aurait jamais juré qu'elles puissent émaner de cette adolescente lookée R'n'B. Thorn lui consacre plusieurs minutes, puis retourne à sa caravane. Il y avait pourtant matière — et urgence — à faire ici une plus longue pause. S'arrêter, écouter, comprendre, contourner. Allez, Yallah!, son nom l'indique, ne s'éternise pas et reprend sa route. Pour se charger d'autres instants, bien sûr, d'autres lieux, d'autres personnes, dont la parole compte également. On comprend cette envie de profusion. On peut aussi s'interroger sur ce qu'aurait pu être le film, selon d'autres modalités de montage. Montrer moins pour montrer mieux, le dilemme est au moins vieux comme l'invention du cinéma.