Festival du Film Coréen: Alice in Earnestland

Festival du Film Coréen: Alice in Earnestland
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Alice in Earnestland
Corée du Sud, 2015
De Gooc-Jin Ahn
Scénario : Gooc-Jin Ahn
Avec : Jung-Hyun Lee
Durée : 1h30
Note FilmDeCulte : *****-
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Une conseillère sociale voit débarquer dans son bureau une jeune femme iconoclaste qui va la retenir prisonnière pour lui raconter son histoire. Elle s’appelle Su-nam et travaille comme comptable dans une usine où elle a rencontré son mari sourd. La vie de Su-nam, travailleuse assidue peu récompensée pour ses efforts, est pour le moins étrange et inattendue.

ALICE AU PAYS DES MALHEURS

Premier long métrage de Ahn Gooc-Jin (lire notre entretien), Alice in Earnestland est l'une des révélations coréennes de l'année. Le film, couronné au Festival de Jeonju (le second festival le plus important de Corée après Busan), a rencontré un beau succès d'estime dans les salles coréennes. Ce bon buzz est mérité : Alice in Earnestland est un premier essai à la fois gonflé, singulier et accompli. Au générique tambourinant succède un début cash qui ne perd pas de temps, à l'image de son héroïne (jouée par l'excellente Lee Jung-Hyun) qui, très vite, a dû prendre son destin en main. Tout aussi rapidement, Ahn Gooc-Jin fait preuve de mille idées visuelles pour illustrer l'histoire de Soo-Nam et même mieux : pour l'incarner.

Comme le meilleur de la production locale, Alice in Earnestland répond à deux idées reçues sur le cinéma coréen : ce serait un cinéma dont la violence gratuite est une finalité, et un cinéma brouillon qui a le cul entre deux chaises. A l'image d'un certain nombre de ses compatriotes, la violence chez Ahn Gooc-Jin n'est pas exploitée à des fins réalistes. Elle est too much ? C'est justement le but recherché. Pas simplement pour secouer le public dans une surenchère sanguinolente, mais pour créer un climat suréel dans lequel la violence raconte autre chose. L'avalanche de malheurs sur Soo-Nam n'a paradoxalement rien de misérabiliste, elle permet une mise en perspective et fait de la jeune femme une héroïne de fable. La violence et les malheurs mélodramatiques ne sont que des moyens de distanciation du réel pour mieux raconter autrement un drame social (qui chez nous serait gris avec une héroïne qui ne tuerait personne mais qui prendrait de longues douches mélancoliques).

L'autre malentendu, sur un cinéma coréen qui en ferait trop et ne saurait choisir ni son ton, ni son genre, témoigne d'une incompréhension. Les ruptures violentes dans le cinéma coréen ne sont pas l'expression d'une hésitation, c'est ce qui fait ce cinéma : Ahn Gooc-Jin, dès son premier film, s'en sort déjà à merveille en mariant le réalisme social à la fantaisie et à la tragédie noire. L'un nourrit l'autre puisque le quotidien est tellement tragique qu'il en est drôle, et ce qui est parfois vu comme un défaut (ce manque de confort de ne pas voir un film qui obéit à nos règles familières) est une richesse, une manière d'aller plus loin dans le cœur du sujet. « C'est comme ça que ça se passe » annonce un personnage particulièrement cynique. Non, ce n'est pas comme ça que ça se passe, semble se dire Soo-Nam. Une déclaration que Ahn Gooc-Jin, aux antipodes d'un cinéma super-formaté, s'approprie pour cette pépite très prometteuse.

par Nicolas Bardot

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