Aimer, boire et chanter
France, 2014
De Alain Resnais
Scénario : Laurent Herbiet
Avec : Sabine Azema, André Dussollier, Hippolyte Girardot, Sandrine Kiberlain, Michel Vuillermoz
Sortie : 26/03/2014
De proches amis découvrent que l'un d'entre eux n'a plus que quelques mois à vivre. Cette terrible nouvelle va avoir des répercussions surprenantes et très drôles sur ce petit cercle amical...
RESNAIS LA TAUPE
Si Alain Resnais travaille depuis ses débuts les relations ambivalentes entre récit et théories narratives (de Hiroshima mon amour à Vous n'avez encore rien vu, il n'est presque question que de ça), il y a dans ses derniers films une frontière de plus en plus mouvante et floue entre ce travail cinématographique et l'extra filmique, entre l’œuvre et l'artiste. Dans le sens où le spectateur est de plus en plus amené à projeter sur ces longs métrages le prisme de l'autobiographie de Resnais, ou du moins de son autoportrait. Cela est parfois dû à de la paresse d'interprétation, mais cela est aussi le fait du réalisateur lui-même qui, en plus de proposer des concepts narratifs volontairement artificiels, prend l'habitude de venir nous donner un coup de coude furtif, clin d’œil à chaque fois sans relation avec le reste du film. Cela a d'abord pris la forme de phrases énigmatiques et humoristiques destinées à déboussoler comme la fameuse dernière réplique des Herbes folles ("dis maman, quand je serai un chat, je pourrai manger des croquettes ?") ou la blague sur le petit chien dans Vous n'avez encore rien vu. Dans Aimer, boire et chanter, le geste est cette fois visuel: sans que cela n'ait de rapport avec un quelconque autre élément du film, à deux reprises apparait une taupe en très gros plan, peluche ricanante qui sort et rentre dans son trou de manière presque subliminale. Des plans d'une gratuité absurde, qui ne font sens que dans cette projection extérieure au récit.
Ce n'est pas le seul tour de passe-passe du film, dont les coutures artificielles sont ici volontairement plus visibles et radicales qu'avant. En clair: il n'y a pas de décor et les quelques comédiens jouent devant des toiles peintes, des bâches de couleur. Écrin épuré pour mettre en valeur le texte? La pièce d'Alan Ayckbourn (déjà auteur de Smoking / No Smoking et Cœurs) est pourtant, cette fois peut-être encore plus que les autres, un pénible vaudeville bourgeois plein de quiproquos lourdingues et coups de théâtre qui, si elle était mise en scène de manière classique, donnerait un horrible navet. Ses pièces comprennent-elles d'ailleurs à chaque fois le germe des théories narratives chères à Resnais ou bien celui-ci les projette t-il d'autant plus facilement que le texte d'origine est plat et superficiel ? Mystère. Quoi qu'il en soit, ce parti pris de mise en scène radical, souligné une fois de plus par une certaine artificialité chez les comédiens (Azéma tire la couverture à elle, surjouant même quand elle est silencieuse, tandis que Kiberlain semble s'ennuyer à mourir), fait tout le sel du film. Mais passé la stupéfaction initiale, ce concept manque de nuances pour pouvoir rattraper à lui tout seul, et malgré toute l'ironie de Resnais, un texte aussi inepte.
Tout ce que l'on peut projeter de mise en abyme autour de ce plateau de théâtre qui se monte sous nos yeux pour la troupe habituelle de Resnais, sur le fait de voir Azéma jouer ce qui parait presque son propre rôle, sur Resnais qui filme cette histoire de mourant manipulant son entourage avec malice... Tout cela est certes intéressant, mais d'une part cela reste a moitié extra-filmique (on en revient a la frontière floue du début), et surtout cela ne suffit pas à rendre intéressants ces personnages énervants au possible et leurs petits tracas pathétiques. Resnais s'intéresse t-il vraiment lui-même au premier degré à ces scènes de ménage qui rappellent la série du même nom? Les comédiens y croient-ils eux-mêmes? Quels horribles personnages et quelle horrible vision de l'humanité, où des supposés amis de toute une vie passent leur temps à se mentir, se trahir et se tromper. Quand on pense que le film a failli s'appeler Joie de vivre on croit rêver, tant tout cela donne plutôt envie de mourir ou de devenir définitivement misanthrope. Ceux qui pardonneront tout à un aussi grand metteur en scène peuvent en tout cas nous faire parvenir leur avis sur un générique de début ici embarrassant de laideur, images amateur floues style cd-rom de code de la route, accompagné du jingle des Chiffres et des lettres. A quel jeune réalisateur aurait-on pardonné une aussi terrible faute de goût sous prétexte que c'est "libre" ou "tellement jeune"? cette indulgence confirme que décidément, on ne prête qu'aux riches.