Adversaire (L’)
France, 2002
De Nicole Garcia
Scénario : Frédéric Bélier-Garcia, Jacques Fieschi, Nicole Garcia
Avec : Daniel Auteuil, François Cluzet, Emmanuelle Devos, Géraldine Pailhas
Durée : 2h09
Sortie : 28/08/2002
Jean-Claude Romand (rebaptisé Jean-Marc Faure) n’est pas médecin, il ne gagne pas bien sa vie, il n’est pas réputé. Il ment à ses proches depuis 18 ans. Sur le point d’être découvert, il les supprime tous.
En choisissant d’adapter le roman d’Emmanuel Carrère, Nicole Garcia se heurtait à de nombreuses difficultés. La première touchait à la proximité chronologique du drame, nombre de ses protagonistes étant encore vivants. La seconde tenait à la violence du sujet, difficile à retranscrire sur la pellicule sans se heurter à la bonne morale. Mais le problème le plus difficile que pouvait rencontrer la réalisatrice était la difficulté de parler du cas Romand. Carrère lui-même admettait froidement dans son livre s’être attaché à son protagoniste, en se représentant sa vie de tous les jours, le poids des mensonges enfonçant de plus en plus cet homme vers une tragique issue. Ce souci évident reste le problème de l’adaptation cinématographique du livre. Comment évoquer l’affaire Romand?
Nicole Garcia a finalement décidé de prendre un risque. En choisissant de centrer l’affaire sur son personnage central, décrivant sa vie quotidienne dans ses derniers mois, les attentes, les mensonges, les désillusions…La réalisatrice entreprend de nous plonger dans les méandres d’un esprit malade, appuyant sa mise en scène (mouvements lents, musique prenante) pour faire durer le temps, comme pour prolonger l’errance de son héros, victime d’un piège qu’il s’est lui même tendu. Elle prend aussi le risque d’interpréter certains événements alors que la lumière ne fut jamais faite sur ceux-ci. À faire ce choix, Nicole Garcia trouvera ses défenseurs et ses opposants. On trouve en effet dans ce film une ambiance rarement vue à l’écran. Pas un seul moment on ne quitte le malaise de son personnage principal qui, sous les traits de Daniel Auteuil, trouve un visage à la fois tragique et fourbe, humain et menteur. On ressent ce vide immense, cette absence de joie de vivre, comme une résignation de l’homme face à l’issue de son histoire. En choisissant de privilégier le calme à l’euphorie, même dans les moments les plus durs de la vie de Romand, elle décide de nous plonger dans un état second, comme les témoins muets d’un drame silencieux.
Mais c’est dans les qualités de son film que celui-ci trouve également ses défauts. En regardant le film on en oublie presque la réalité de l’affaire. La réalisatrice, en entreprenant de nous plonger dans la vie de son personnage, semble oublier le cas judiciaire dont est inspiré son film, notamment certains de ses aspects les moins reluisants. On reprochera finalement à Nicole Garcia non pas de s’être attachée à Romand, mais plutôt de s’en être trop détachée, d’avoir oublié le fait divers au profit du drame humain de son protagoniste. Carrère terminait son livre par un épilogue peu reluisant sur son héros. Peut-être est-ce cela qui manque au film de Nicole Garcia, ce détachement (pourtant entamé par moment, mais mal exploité au final) qui permettrait au spectateur de dépassionner le drame, pour aussi y voir les faits tels qu’ils se sont déroulés. Au final, L’Adversaire est à la fois une réussite cinématographique dans sa douloureuse description d’un homme errant dans sa vie de mensonges, mais c’est aussi le constat d’échec de la réalisatrice qui, en choisissant de ne pas prendre parti dans son récit, se trompe de chemin et tombe hélas dans une forme de complaisance malade qui fait du film une interprétation faussée de l’affaire Romand.