Étrange Festival: 30 Years of Adonis
Yang Ke, un acteur de l'Opéra de Pékin, découvre le monde de la prostitution, proposant ses services aussi bien aux femmes qu’aux hommes. Avec dévotion et passion, il s’offre tout en recherchant l’amour. Mais autour de lui, l’hypocrisie règne et le dévore...
LA MAUVAISE ÉDUCATION
Le cinéma queer chinois n'est pas exactement celui qu'on croise le plus souvent. L'exemple le plus récent est peut-être The Night du tout jeune Zhou Hao qui piochait à la fois chez Genet, Fassbinder et Wong Kar Wai. Pour parler de 30 Years of Adonis, signé par l'un peu plus expérimenté mais tout aussi méconnu chez nous Scud, on pourrait élargir cette remarque : au-delà même du strict cinéma queer, ce n'est pas le type de cinéma tout court qu'on croise souvent. Ovni à faire écarquiller les yeux, 30 Years of Adonis est un récit d'apprentissage (et de désapprentissage) d'un Apollon (ou plus précisément ici, d'un Adonis) sur 30 ans de son existence. Ce récit prend la forme d'une rêverie queer qui nous rappelle, dès les intenses et déstabilisantes premières minutes, que le silence au cinéma peut parfois être d'or.
30 Years of Adonis explore l'existence du jeune homme comme il explore en allégorie tout un imaginaire sexuel queer. Le film enchaine kinks et fantasmes à la manière du récent L'Ornithologue de Joao Pedro Rodrigues, avec lequel il partage ce jeu entre réalité et mythologie. Bondage, humiliation, travestissement, plans à plusieurs - un spectacle du tout-sensuel qui trouve sa place entre des classiques du genre tels que Sebastiane de Derek Jarman et Pink Narcissus de John Bidgood.
30 Years of Adonis parle d'un monde nocturne décrit parfois comme terrible mais là encore, le film ne fait que transposer la clandestinité quotidienne inhérente à l'homosexualité et à son apprentissage. Si dans ses instants les plus mélodramatiques le film évoque l'impossibilité d'un épanouissement homosexuel (ce qui reste, dans plein d'endroits au monde, une réalité), il offre en contrepartie une fière célébration du corps masculin avec une ribambelle d'acteurs nus en permanence et qui batifolent dans l'eau bleue d'une peinture digne d'Hockney. On entraperçoit la possibilité d'un amour, voire même de la tendresse, dans un univers qui reste poétiquement sombre, d'une violence lugubre et surréaliste, à l'image de son dénouement.
Scud fait preuve de recul et 30 Years of Adonis ne se contente pas de jouer la carte de la diva tragique. Le film embrasse également toute une culture queer du kitsch, de l'exagération, du tacky, et sait le faire avec humour. Et beauté - parce que le film est très beau, et ses plans sont puissamment composés. Le réalisateur ne s'impose aucune limite, ne s'autocensure pas, fera sortir des spectateurs de la salle si ça les chante : c'est ce qui rend 30 Years of Adonis aussi étrange que jubilatoire.