mother!
États-Unis, 2017
De Darren Aronofsky
Scénario : Darren Aronofsky
Avec : Javier Bardem, Domhnall Gleeson, Ed Harris, Jennifer Lawrence, Michelle Pfeiffer, Kristen Wiig
Photo : Matthew Libatique
Musique : Jóhann Jóhannsson
Durée : 1h55
Sortie : 13/09/2017
Un couple voit sa relation remise en question par l'arrivée d'invités imprévus, perturbant leur tranquillité.
I WOULD DO ANYTHING FOR LOVE
Suite au premier plan, qui plonge le spectateur littéralement dans le feu de l'action, arrive ce titre avec son point d'exclamation qui s'accompagne d'un tintement distinctif et décalé, révélant d'entrée de jeu le grotesque assumé de l'entreprise. Depuis ses débuts, Darren Aronofsky (lire notre entretien) n'a jamais eu peur de rien et certainement pas du ridicule. Après deux films indépendants qui pourraient presque être qualifiés de "respectables" en comparaison, la filmographie du cinéaste a été parcouru d'images inoubliables prêtant au rire, qu'il s'agisse de Hugh Jackman glabre en position du lotus dans un vaisseau spatial en forme de bulle dans The Fountain ou des anges de pierre de Noé en passant par la métamorphose des jambes d'une ballerine en pattes de volaille dans Black Swan. Et malgré tout ça, mother! s'avère sans doute comme l'exercice le plus jusqu'au-boutiste auquel s'est adonné le réalisateur jusqu'à présent. S'inspirant de Rosemary's Baby sans jamais le copier, le film déroule son improbable crescendo en prenant soin de pas surcultiver son mystère mais menant le spectateur par le bout du nez durant toute la première heure avant que la métaphore ne nous explose clairement au visage dans un dernier acte intimement apocalyptique. Parce que la radicalité de mother! n'a d'égal que sa densité thématique, brassant les habituelles obsessions de l'auteur tout en livrant un incroyable témoignage sur l'amour et la création.
De tout le corpus d'Aronofsky, l’œuvre la plus proche est indubitablement Black Swan, déjà sous influence de Roman Polanski, mais il n'est point question de folie ici et si le film cite ouvertement Rosemary's Baby - la jeune compagne d'un artiste, destinée à être mère au foyer, envahi par les nouveaux "amis" de son conjoint, enfermée chez elle - c'est pour mieux s'en servir comme d'un tremplin propulsant le récit peu à peu hors de notre réalité et dans la parabole. Il n'y a plus le dédoublement méta de Black Swan, là on est directement dans le conte. Un conte sur un monstre qui se nourrit d'amour. Où la jeune femme est à la fois muse mais également trophée et condamnée à être maltraitée dans un cas comme dans l'autre. Le film est autant l'histoire du personnage féminin que du personnage masculin, tous deux dénués de noms. C'est elle, victime des événements, dont on adopte le point de vue, par le biais de cette caméra portée qui colle à sa subjectivité, appliquant la même méthode que pour Black Swan mais substituant au vertige de la danse et de la folie l'oppression des gros plans et le hors-champ des possibles qu'ils impliquent ainsi que l'isolation dans cette gigantesque maison. Décor-personnage à plus d'un titre, cette maison devient extension du couple, de leur amour, de leur vie. Dans mother!, c'est la maison qui représente ce corps sans cesse mis à mal chez Aronofsky.
Sacrifier son corps sur l'autel de son addiction ou de son obsession semble être la caractéristique des protagonistes aronofskiens (les héroïnomanes de Requiem for a Dream, le conquistador de The Fountain laissant l'Arbre de Vie pousser en lui) mais depuis quelques films, c'est pour leur art que les personnages pratiquent le don de soi - du catch mortel de The Wrestler au body horror cronenbergien de Black Swan - et mother! explore ce thème de manière plus frontale encore. On dit souvent qu'une oeuvre, dès lors qu'elle est présentée au public, lui appartient. Il se la réapproprie. Tout artiste se met à nu au travers de son œuvre, mais en s'ouvrant ainsi, ne s'expose-t-il pas au danger? Comment réagir lorsque le public s'octroie de tels droits sur votre personne? Et à l'inverse, comment se passer de cette admiration, de cet amour? De la part de son public mais également de sa compagne dont on attend qu'elle nous aime autant que notre mère? Après tout, le besoin de reconnaissance aussi peut-être une addiction.
En évoquant l'idolâtrie et la décadence humaine, c'est étonnamment Noé que mother! rappelle également. Si le premier avait réussi à concilier la théorie de l'évolution et la Genèse en racontant l'origine du monde en avance rapide, c'est la fin du monde en accéléré qui nous est donné de voir ici dans un mouvement narratif d'une habileté rare, réussissant à rendre l'improbable escalade finale aussi crédible que l'incursion gênante d'invités importuns qui peut nous être donné à tous de vivre. Le Diable ne figure pas dans mother! mais il y a bel et bien un pacte, un prix à payer, une horrible oblation accompagnant l'acte de création et toute la puissance que ce dernier recèle, quitte à détruire tout sur son passage car c'est le propre de l'Homme après tout. Et de l'égo mâle, surtout celui, narcissique, de l'artiste, de faire d'une femme sa muse mais également sa proie. Ce n'est pas un hasard si le coeur est un motif récurrent dans mother!, le film est l’œuvre d'un cinéaste qui nous ouvre son cœur. Honnête dans sa pathologie et sincère dans ses sentiments, une mise à nu des plus folles et dérangeantes.