Tale of tales
Il racconto dei racconti
Italie, 2015
De Matteo Garrone
Avec : Vincent Cassel, Salma Hayek, Toby Jones, John C. Reilly
Durée : 2h05
Sortie : 01/07/2015
Il était une fois trois royaumes voisins où dans de merveilleux châteaux régnaient rois et reines, princes et princesses : un roi fornicateur et libertin, un autre captivé par un étrange animal ; une reine obsédée par son désir d’enfant… Sorciers et fées, monstres redoutables, ogre et vieilles lavandières, saltimbanques et courtisans sont les héros de cette libre interprétation des célèbres contes de Giambattista Basile.
MANÈGE ENCHANTÉ
Dans notre bilan de la dernière Berlinale, nous soulignions le plaisir récurrent de voir, au cœur d’un festival privilégiant habituellement les œuvres au regard politique, des films plongeant au contraire la tête la première dans l’imaginaire (et ce, indépendamment de leur qualité). Des films qui, ainsi dédouanés de référence au monde réel, finissaient par ne plus ressembler du tout à ce que l’on croit pouvoir attendre d’un film de grand festival, et tant mieux pour les amateurs de surprises. Sans même encore parler de la qualité du film, ce plaisant contrepied se répète en ce début de Festival de Cannes devant ce Tale of tales. Qui l’eût cru ? En effet, la filmographie récente du réalisateur italien Matteo Garrone obéissait plutôt jusqu’ici aux règles du réalisme social, fut-il crade (Gomorra) ou gentiment décalé (Reality). Or, entre livre d’image onirique et bestiaire monstrueux, il n’y a plus de place ici pour le vraisemblable. Le Tale of tales ne ressemble pas du tout à nos attentes, et à nos yeux, c’est déjà un bon point.
Au premier abord, cette production internationale, tournée en anglais avec des comédiens de tous pays (américains, français, mexicains, italiens, britanniques…), film en costume adapté du patrimoine littéraire européen, pourrait ressembler à un de ces euro-puddings indigestes des années 90. A tel point qu’on pourrait presque s’attendre à voir Gérard Depardieu débarquer au détour d’une scène. A ce titre, le film est facilement caricaturable et moquable. Mais ne vous fiez pas aux apparences, The Tale of tales n’est pas un nanar de luxe. Deux qualités l’en démarquent. Tout d’abord son élégance picturale. Ce n’est pas tant une affaire de mise en scène (à ce niveau-là, Garrone demeure relativement anonyme), mais de direction artistique. Les costumes et les décors ne sautent pas seulement aux yeux par leur beauté : grâce à leur mélange anachronique, ils créent un surprenant ensemble, plus sombre et sérieux qu’il n’y parait. Au détour de certaines scènes, ces images mi-baroques mi-romantiques rappellent parfois des versions (beaucoup) plus public-friendly de celles du superbe Faust de Sokurov.
La deuxième qualité de ce conte est de ne pas avoir peur de sa frotter au grotesque : tuer un monstre pour mieux manger son cœur, quoi de plus normal dans un conte de fées ? Sauf qu’ici, ce n’est pas qu’une métaphore, Garrone filme ces passages sans mettre de guillemets autour. La comparaison avec Sokurov s’arrête pourtant ici. A force de ne pas avoir peur du ridicule, Garrone menace parfois de s’y frotter d’un peu trop près. En effet, c’est au début du film que les portes de l’imaginaire s’ouvrent le plus grand, quitte à rendre progressivement plus terre à terre la destinée de certains personnages. La fabulation flamboyante, belle et bien présente, s’éclipse par moments au profit d’une imagerie devenue plus triviale. Ainsi, Vincent Cassel n’hérite pas des scènes les plus intéressantes de l’ensemble. Mais ces imperfections confirment paradoxalement le charme désuet du film. On pourrait en effet qualifier The Tale of tales de doublement uchronique : l’action se déroule à une époque indéfinie et impossible, qui n’a jamais existé, mais le film lui-même ne semble dater d’aucune époque précise. Singulier, naïf et étrange, ce drôle de film semble un peu sorti de nulle part. Et ça aussi, c’est bien sûr un bon point !