Somewhere
États-Unis, 2010
De Sofia Coppola
Scénario : Sofia Coppola
Avec : Stephen Dorff, Elle Fanning
Photo : Harris Savides
Musique : Phoenix
Durée : 1h38
Sortie : 05/01/2011
Johnny Marco, acteur à la réputation sulfureuse vit à l'hôtel du Château Marmont à Los Angeles. Il va recevoir une visite inattendue : sa fille de 11 ans.
CHÂTEAU INTÉRIEUR
Le nouveau film de Sofia Coppola arrive sur nos écrans avec une double réputation glanée à Venise. Tout d’abord la ridicule controverse liée à l’attribution au film du Lion d’or par Quentin Tarantino, soi-disant par copinage ; rumeur simpliste discréditant au passage complètement la légitimité du travail des autres membres du jury (la grande classe, quoi). Somewhere y a également hérité (du coup ?) d’une réputation de piètre qualité, d’après … d’après on ne sait pas trop qui, d’ailleurs. Car malgré l’écho médiatique de certains castings, les films de Venise restent somme toute assez peu vus et chroniqués par la presse française (Vénus noire, finalement à peine vu avant sa sortie, en était le parfait exemple). Mais la Mostra n’est de toute façon pas en cause puisqu’on se rappelle que Marie-Antoinette avait lui aussi trainé sa fausse rumeur de mauvais accueil lors de sa présentation à Cannes (où non, le film n’avais pas été hué en projection de presse, mais bel et bien applaudi). La rumeur similaire autour de la soi-disant fadeur de Somewhere est tout aussi injustifiée, et le film mérite entièrement sa récompense. Ce qui ne veut pas dire que le film ne surprendra personne, car il ne se contente pas de n’offrir qu’un résumé/bande-annonce de l’univers déjà familier de la cinéaste, et possède son ton propre et bien particulier.
Un grand hôtel, une jeune fille solitaire, le spleen d’un passage entre deux âges… on a quand même bien l’impression de tout connaître d’avance dans cette histoire. Pourtant du château Marmont on ne verra presque rien, c’est bien le père, et non sa jeune fille, qui est au centre du film, et surtout Sofia Coppola filme tout cela avec un minimalisme assez inattendu. Minimalisme dans la mise en scène, car le film prend le chemin inverse de l’orgie décorative de Marie-Antoinette ou des océans de lumières de Virgin Suicides. Tout en conservant une cohérence esthétique avec ses prédécesseurs, Somewhere joue plus la carte de la grande simplicité, parfois proche de l’austérité, à l’image des murs blancs et spartiates de la chambre d’hôtel. Minimalisme également de l’histoire racontée, puisqu’il se passe (à priori) encore moins de choses que dans ses précédents films. Les premières scènes sont d’une sécheresse assez inattendue qui donne tout de suite le ton : le héros n’a de cesse de tourner vainement en rond dans sa bulle de solitude. On a beaucoup reproché à Sofia Coppola de se contenter de décrire ses personnages plutôt que de raconter des histoires. Or, ici, la retenue de la mise en scène permet justement de mettre en valeur ce dont on ne parle pas assez souvent chez elle: ses qualités scénaristiques. Paradoxal, pour un film où il ne se passe pas grand chose ? En apparence seulement, car ce qui frappe c’est sa capacité à faire sens et à jouer finalement sur l’affect plus que l’intellect avec à priori peu d’éléments. Le scénario évite de nombreuses lourdeurs ou clichés redoutés sur le couple père/fille, et trouve sa meilleure expression dans une magnifique scène de patinage artistique, toute simple en apparence, qui résonne pourtant pendant tout le film comme le point d’orgue d’une écriture qui sait très bien créer de l’émotion en se passant d’artifices et de symboles appuyés.
Car cette absence de grand événement (l’arrivée de la fillette n’est jamais traitée comme telle), ou plutôt cet enchainement perpétuel de micro-événements, donne au film un rythme particulier qui fait qu’on ne se rend pas vraiment compte qu’il évolue sous nos yeux. Mais le dénouement, à la fois sobre et amer, fait mesurer l’ampleur du chemin accompli, et rend rétrospectivement le film extrêmement émouvant. Au final, avec son héros fantomatique, sa mélancolie vague et ses nombreux allers-retours dans le désert, ce portrait d’homme perdu dans sa solitude ressemble parfois à une sorte de Brown Bunny en peluche, un portrait tout doux qui n’empêche pas pour autant le déchirement. Sans aller aussi loin dans l’expérimentation, c’est justement le dépouillement de Somewhere, plus que le choix d’un personnage principal masculin, qui aide enfin Sofia Coppola à se départir de l’étiquette girly qui lui collait un peu trop facilement à la peau. Ouf! Une bonne surprise donc, et surtout une grande réussite.