Le Hobbit : la Désolation de Smaug
Hobbit: The Desolation of Smaug (The)
États-Unis, 2013
De Peter Jackson
Scénario : Philippa Boyens, Guillermo Del Toro, Peter Jackson, Fran Walsh
Avec : Cate Blanchett, Orlando Bloom, Ian McKellen, Andy Serkis, Hugo Weaving, Elijah Wood
Photo : Andrew Lesnie
Musique : Howard Shore
Durée : 2h41
Sortie : 11/12/2013
Les aventures de Bilbon Sacquet, paisible hobbit, qui sera entraîné, lui et une compagnie de Nains, par le magicien Gandalf pour récupérer le trésor détenu par le dragon Smaug. Au cours de ce périple, il mettra la main sur l'anneau de pouvoir que possédait Gollum...
HOME IS BEHIND, THE WHOLE WORLD AHEAD
Voici venu le mois de décembre et donc la deuxième de trois années consécutives où les spectateurs vont se donner rendez-vous pour se poser les sempiternelles mêmes questions, plus ou moins impatientes mais surtout rarement impartiales, sur le nouvel opus de la saga imaginée par J.R.R. Tolkien. "Ça vaut quoi? C'est meilleur que le premier? C'est du niveau des anciens?" Autant de préoccupations auxquelles il est impossible, au fond, d'apporter une réponse universellement satisfaisante. La fonction d'une critique est souvent réduite à décréter si un film est bon ou non alors qu'il est bien plus pertinent de dire avant tout ce qu'un film est. Et ce que La Désolation de Smaug est, c'est "différent". À chacun de juger pour soi s'il est différent en bien ou en mal. Disparue l'exposition servant une toujours passionnante découverte de l'Histoire de la Terre du Milieu, fini le cadre relativement intime (à l'échelle de l'univers de Tolkien), à l'instar de Les Deux Tours, ici le récit se fragmente et s'étend, mêlant les différents peuples de la Comté à la Forêt Noire, les elfes et les humains s'ajoutant désormais aux nains et au hobbit. Malgré ses origines de livre pour enfants, Un voyage inattendu n'était déjà pas nécessairement destiné aux plus jeunes, et ce malgré les multiples chansons qui jalonnaient le film, et faisaient son charme. Si le doute pouvait subsister avec le premier chapitre, le second tranche une bonne fois pour toute avec cette notion.
Règle immuable des milieux de trilogie, les choses s'aggravent, les enjeux se multiplient, l'heure n'est plus aux chansons. Un changement d'atmosphère qui se manifeste dans le ton, que ce soit dans la forme plus sombre ou le fond plus grave, ou encore dans la violence. En contre-partie, La Désolation de Smaug faisant le pont entre deux films, il fait parfois figure d'épisode de transition, sans réel début ni vraie fin, se terminant sur le cliffhanger le plus frustrant au monde. Sans avoir vu le dernier volet, cet opus apparaît comme le chapitre qui souffre le plus de la division du livre en trois films. Certaines scènes paraissent dispensables (l'escale chez Beorn) ou étirées (le passage à Lacville). Par ailleurs, là où le film semble légèrement inférieur à son prédécesseur, c'est dans ce qu'il raconte. Un voyage inattendu racontait la naissance d'un conteur, appelé à sortir de ses livres pour vivre une véritable aventure, et en parallèle, la quête d'un foyer pour un peuple errant. La Désolation de Smaug est plus difficilement réductible à un (ou deux) arc(s), donc sans doute un tant soit peu moins incarné au premier abord.
OUR BUSINESS IS OUR OWN
En ce qui concerne les personnages, le film apporte toutefois de nouvelles problématiques intéressantes, comme ces trois protagonistes qui souffrent du fardeau de leur héritage : Thorin et la peur de devenir fou comme son père et son grand-père (mis en parallèle avec l'influence grandissante de l'Anneau sur Bilbo), Bard qui porte l'échec de son ancêtre, craignant que la prophétie ne fasse se répéter l'Histoire, et Legolas encore sous l'égide d'un père rancunier et, disons-le franchement, raciste (et dont le rapport avec Tauriel semble dessiner un parcours de héros tragique bien plus intéressant que son rôle de sidekick badass dans Le Seigneur des Anneaux). Quant à Tauriel, justement, il s'agit du seul protagoniste créé non pas par Tolkien mais par Peter Jackson & Co. Bien évidemment, elle apporte une présence féminine dans cette trilogie, mais c'est surtout le rôle qui lui est donné qui s'avère pertinent. Outre son interaction avec Legolas, justifiant la présence augmentée de ce dernier dans l'adaptation - il n'est qu'un figurant dans le livre - elle est carrément là pour incarner le propos du film.
Un propos déjà traité en partie dans Le Seigneur des Anneaux, articulé autour de questions sur les choix en temps de guerre, approfondi ici via divers fils narratifs : la neutralité des elfes qui passe pour cruelle dans les actes de Thranduil, le Roi-Elfe et père de Legolas, l'intéressement des humains qui passe pour de la cupidité - les motivations du Maître de Lacville, gouvernant à l'exact opposé du Theoden de Les Deux Tours, offrent un soupçon de sous-texte politique à cette trame - et la responsabilité des différents leaders balançant entre leur intérêt personnel et le bien commun (Gandalf pris entre Dol Guldur et la Compagnie, Thorin pris entre Bilbo et les Nains). Le film ne déploie pas non plus une mécanique semblable aux machinations de Game of Thrones mais l'intrigue est plus dense qu'elle n'en a l'air, derrière toute cette imagerie de film d'aventure épique. Parce que si la série adaptée de l’œuvre de George R.R. Martin fournit quelque chose que la saga de Tolkien ne propose pas, l'inverse est tout aussi vrai. Et La Désolation de Smaug en est probablement l'exemple le plus frappant. Et le plus divertissant.
I AM FIRE. I AM DEATH.
Si l'on ne devait citer qu'une seule séquence, il serait impossible de ne pas parler de la scène des tonneaux. Entrant directement dans le top des meilleures scènes de la franchise et des meilleures scènes d'action de l'année, ce morceau de bravoure est un véritable festival d'inventivité. Il y a quasiment une idée à la minute dans l'action, dans les cascades, dans les coups, les mises à mort, et visuellement, c'est juste un régal pour les sens. On n'avait pas vu une telle fluidité dans la mise en scène de l'action depuis la course-poursuite de Bagghar dans Tintin. Avec un Legolas dont le degré de badassitude à l'arc et à l'épée a été multiplié par dix. Et ce n'est même pas lui qui a le moment le plus énorme du film, qui compte nombre de gros morceaux et en tous genres, avec des bestioles, avec des pouvoirs magiques, et surtout, avec un dragon.
En prêtant ses inimitables cordes vocales (et même plus, merci la performance capture) à la bête, Benedict Cumberbatch offre une performance qui achève de faire de Smaug un dragon comme on n'en a jamais vu, plus incarné qu'aucun autre, imposant, menaçant, arrogant. Et sensé. Métaphore sur pattes de la cupidité, Smaug est arrivé lorsque Thror a cédé à ses démons, émerge des pièces d'or lorsqu'il est réveillé par Bilbo et manque de succomber à une illustration littérale de son péché. Smaug n'est pas juste un Boss de fin de niveau, un monstre pour le climax, il est le Mal qui ronge les gens, qui les brûle de désir. Pour cette raison, et pour toutes les autres, parce qu'il pousse toujours plus loin le jusqu'au-boutisme de son heroic fantasy, entre l'iconisme barbare d'un Frank Frazetta et le cinéma de genre voire d'horreur du Peter Jackson des débuts, n'ayant peur de rien et certainement pas du premier degré le plus fragile, Le Hobbit est un ravissement. Profitons-en, c'est déjà bientôt fini.