Le Hobbit : la Bataille des Cinq Armées
Hobbit: The Battle of the Five Armies (The)
Nouvelle-Zélande, 2014
De Peter Jackson
Scénario : Philippa Boyens, Guillermo Del Toro, Peter Jackson, Fran Walsh
Avec : Martin Freeman
Photo : Andrew Lesnie
Musique : Howard Shore
Durée : 2h24
Sortie : 10/12/2014
Atteignant enfin la Montagne Solitaire, Thorin et les Nains, aidés par Bilbon le Hobbit, ont réussi à récupérer leur royaume et leur trésor. Mais ils ont également réveillé le dragon Smaug qui déchaîne désormais sa colère sur les habitants de Lac-ville. A présent, les Nains, les Elfes, les Humains mais aussi les Wrags et les Orques menés par le Nécromancien, convoitent les richesses de la Montagne Solitaire. La bataille des cinq armées est imminente et Bilbon est le seul à pouvoir unir ses amis contre les puissances obscures de Sauron.
THERE AND BACK AGAIN
Bien que le titre initial de ce numéro final fut autrement plus poétique, Histoire d'un aller et d'un retour n'aurait pas vraiment collé à un film qui consacre la majeure partie de sa durée à des scènes de guerre, plus encore que le dernier chapitre du Seigneur des Anneaux. Cependant, si celui-ci faisait partie originellement d'un seul et même tome avant que l'éditeur de Tolkien ne le segmente en trois, l'ouvrage demeurait bien plus riche en événements. L'an dernier, nous supposions que La Désolation de Smaug serait l'épisode qui souffrirait le plus de la division de cette adaptation en trois films. Nous avions tort. Le second film faisait quelque peu office de transition mais trouvait un certain équilibre dans son éclatement narratif. Force est de constater que cette scission est plus nocive dans cet ultime volet, sorte de gros climax de 2h24 qui donne davantage l'impression de voir une deuxième moitié de film, comme pour Harry Potter & les Reliques de la mort - 2e partie. Toutefois, si la structure peut paraître bancale (l'ouverture, relatant l'attaque de Smaug sur Laketown, est dantesque mais suffisamment courte pour que l'on s'interroge sur le choix de ne pas l'avoir gardée en apothéose du film précédent) et le récit étiré jusque dans les dialogues, au point de frôler la caricature (cf. la longueur et la lenteur de la réplique de Thorin sur le trésor dont il ne souhaite pas se séparer), La Bataille des Cinq Armées reste une conclusion satisfaisante à plus d'un titre. Dense dans le temps qu'elle accorde à chaque groupe de personnages et dans le développement thématique, généreuse dans l'action qui sait se faire constamment inventive, et même émouvante malgré des enjeux moindres.
THE (SECOND TO) LAST ALLIANCE OF ELVES AND MEN
À l'origine, le projet était de faire deux films, une adaptation de Bilbo le Hobbit et une suite qui ferait le lien vers Le Seigneur des Anneaux. Au cours de l'écriture, l'idée d'un film-pont fut abandonnée mais le concept d'un diptyque perdura, de façon à proposer une retranscription plus fidèle de l'ouvrage original mais surtout de manière à placer cette "préquelle" dans le contexte de l'éternelle lutte contre Sauron. La durée s'avère donc parfois bénéfique, ainsi Bard et les Hommes de Laketown existent vraiment dans le premier tiers et permettent de retrouver cette dimension humaine caractérisée par le Gondor dans Les Deux Tours et Le Retour du Roi. Et lorsque les Elfes s'en mêlent et que les Cinq Armées du titre commencent à se définir, le film tutoie la dimension "internationale" de son prédécesseur. Là résidait le plus gros défi de Peter Jackson et, sans doute plus encore que la motivation financière, la réelle raison pour le cinéaste de gonfler un "livre pour enfants" en trilogie : donner un enjeu aussi important que la bataille pour la Terre du Milieu à cette bataille pour...une montagne. Plutôt que de prendre le temps d'un film pour raconter ce qui s'est passé entre les deux sagas, les scénaristes se sont inspirés des appendices du Seigneur des Anneaux afin de raconter ce qui se passait pendant la quête de Bilbo. La véritable justification du diptyque se trouve dans ces ajouts, qui étoffent le récit et l'univers de façon cohérente (et badass) et enrichissent les rôles des deux seuls personnages réutilisables de la franchise passée : Gandalf et Legolas.
A HOBBIT'S TALE
En montrant le Conseil Blanc dans Un voyage inattendu et Dol Guldur dans La Désolation de Smaug et La Bataille des Cinq Armées, Jackson illustre le off relaté par Tolkien en annexe et achève de faire de Gandalf "a man on a mission", un homme avec un seul but à travers les six films : empêcher le retour de Sauron. Concernant Legolas, les scénaristes ont pris beaucoup plus de libertés, lui créant un background tragique qui étoffe ce personnage secondaire relativement unidimensionnel de la trilogie originale. Ces parcours ne sont pas les seuls à se dessiner en creux. Si Bilbo était clairement en retrait dans La Désolation de Smaug, plus que jamais le témoin des événements, le futur conteur, il retrouve sa place ici, aux côtés de Thorin. Ou plutôt face à lui. Au cinéma, Le Hobbit est clairement l'histoire de ces deux personnages et, à l'instar des Mangeurs de morts de Michael Crichton, inspiré tout comme Tolkien par le poème Beowulf, l'un est un héros, le vrai protagoniste, avec un destin, l'autre s'initie à l'aventure mais vivra surtout pour rapporter les faits de gloire de ce héros. Bilbo et Ahmed Ibn Fahdlan, même combat. Ils passent à travers l'Histoire, y participent un peu mais vont surtout la raconter. Chanter la chanson du héros. Ainsi s'incarne le rapport entre Bilbo et Thorin dans ce dernier opus, remettant en perspective leur relation dans le premier volet, et créant un arc fort et touchant sur trois films et une histoire désormais complétée.
I WILL HAVE WAR
Un diptyque aurait sans doute amplement suffi mais à l'inverse de toutes les adaptations de livres pour ados situés dans des futurs dystopiques dont on divise les tomes en deux films, les films de Peter Jackson transpirent la sincérité, l'envie de rester un peu longtemps dans ce monde et d'en tonner toujours plus au spectateur. À ce titre, même si l'on se dit que certains duels auraient pu être rabotés, il est difficile de bouder son plaisir face au spectacle offert par la bataille éponyme, plus dense que la bataille du Gouffre de Helm dans Les Deux Tours et presque aussi épique que celle des Champs de Pelennor dans Le Retour du Roi. Le cinéaste regorge d'idées, dans la direction artistique (la forteresse de Gundabad, l'espèce de drapeau stratégique des orques), dans le character design (le look de Dain Ironfoot, les armes des trolls géants), mais surtout dans la variété de l'action, de sa conception à sa mise en scène. Jackson trouve constamment de nouvelles choses à faire faire à Legolas, le bestiaire s'agrandit de façon jubilatoire et le décor du duel final est exploité à merveille, même hors de l'action, lors d'une de ces nombreuses scènes où Jackson prend son temps pour filmer le regard d'un personnage vers un autre, lourd de sens. De par son statut, La Bataille des Cinq Armées gagnera beaucoup à être vu à la suite des deux précédents et sera sûrement celui des six films qui bénéficiera le plus d'une version longue - on sent un peu dans cet épilogue rapide le trauma du réalisateur à qui on aura reproché les 36 fins du Retour du Roi - mais il reste une belle conclusion épique à une trilogie qui sera toujours en deçà de la première mais qui ne démérite pas du tout. Et on veut bien voir une trilogie tirée du Silmarillion dans 10 ans.