La Vénus à la fourrure
France, 2013
De Roman Polanski
Scénario : Roman Polanski
Avec : Mathieu Amalric, Emmanuelle Seigner
Photo : Pawel Edelman
Musique : Alexandre Desplat
Durée : 1h36
Sortie : 13/11/2013
Seul dans un théâtre parisien après une journée passée à auditionner des comédiennes pour la pièce qu’il s’apprête à mettre en scène, Thomas se lamente au téléphone sur la piètre performance des candidates. Pas une n’a l’envergure requise pour tenir le rôle principal et il se prépare à partir lorsque Vanda surgit, véritable tourbillon d’énergie aussi débridée que délurée. Vanda incarne tout ce que Thomas déteste. Elle est vulgaire, écervelée, et ne reculerait devant rien pour obtenir le rôle. Mais un peu contraint et forcé, Thomas la laisse tenter sa chance et c’est avec stupéfaction qu’il voit Vanda se métamorphoser. Non seulement elle s’est procuré des accessoires et des costumes, mais elle comprend parfaitement le personnage (dont elle porte par ailleurs le prénom) et connaît toutes les répliques par cœur. Alors que l’« audition » se prolonge et redouble d’intensité, l’attraction de Thomas se mue en obsession…
MAUDITE APHRODITE
Ce n’est pas la première fois que Polanski s’inspire du théâtre. Entre huis-clos fiévreux et face-à-face ambigus, une bonne partie de sa filmographie y puise en effet ses racines dramaturgiques nerveuses. Il s’y est également frotté de manière plus concrète avec Carnage, son adaptation joyeusement cruelle de Yasmina Reza, et l’on retrouve dans cette adaptation d'une pièce elle-même librement adaptation du roman de Sacher-Masoch un semblable minimalisme (stricte unité de lieu, de temps et de personnages). Mais cette sobriété ascétique n’est cette fois encore qu’un cadre à l’intérieur duquel le réalisateur s’éclate et jubile à nous mener par le bout du nez. Carnage l’avait montré, La Vénus à la fourrure le confirme : dans de telles circonstances, Polanski reste un excellent scénariste et un excellent monteur ; son film est particulièrement vif, d’une fluide agilité et jamais renfermé sur lui-même. Tout se déroule sur une scène de théâtre et pourtant ça ne ressemble jamais à du théâtre filmé, jamais à autre chose que du cinéma brillamment mis en scène. Et ce n’est pas l’unique surprise au programme.
L'huis-clos à l’air étouffant ? Il est au contraire particulièrement fluide. Le minimalisme du film fait craindre l’austérité ? le résultat est au contraire très drôle. Emmanuelle Seigner commence le film en surjouant la vulgarité (on croirait parfois la voir caricaturer sa propre sœur) ? Elle se révèle bien plus nuancée et surprenante au fil du scénario. On croit pouvoir prédire par cœur le déroulement de ce jeu de manipulation et pourtant... Le roman de Sacher-Masoch ne parle que de ça : de statues que l’on prend pour des femmes et de femmes que l’on prend pour des déesses. Polanski la détourne malicieusement en poussant ces faux-semblants encore plus loin : chez lui les jeux de rôles sont des illusions que l’on se crée comme l’on goberait du viagra, mais c’est surtout la chosification de la Femme (par le protagoniste de la pièce, par Sacher-Masoch lui-même et par le personnage du metteur en scène) qui est ici tourneboulée. La nunuche cache une amazone, et l’on se retrouve puni d’avoir voulu « diriger » quelqu’un. Mais... là encore, il y a un « mais ».
Cette traversée des apparence se vautrerait à pieds joints dans la balourdise sans la subtilité de Polanski. En avançant sur la pointe des pieds, il se sert de l’artificialité pour aller débusquer l’émotion, utilise l’humour pour dire des choses très sérieuses, vise l’ultra-réalisme pour instaurer un climat presque fantastique, aborde le grotesque parodique pour définir la normalité, met en scène des clichés pour les mettre en pièce, fait miroiter un dénouement pour finalement faire basculer le film d’une manière des plus inattendues (dans sa plus belle scène), pour finalement l’envoyer balader dans un ultime contrepied à l’ambiguïté jubilatoire. Magie, magie.