L'Île aux chiens
Isle of Dogs
États-Unis, 2018
De Wes Anderson
Durée : 1h41
Sortie : 11/04/2018
En raison d’une épidémie de grippe canine, le maire de Megasaki ordonne la mise en quarantaine de tous les chiens de la ville, envoyés sur une île qui devient alors l’Ile aux Chiens. Le jeune Atari, 12 ans, vole un avion et se rend sur l’île pour rechercher son fidèle compagnon, Spots. Aidé par une bande de cinq chiens intrépides et attachants, il découvre une conspiration qui menace la ville.
Quel cinéaste serait plus à propos que l’Américain Wes Anderson pour réaliser un film de marionnettes ? Ses divers longs métrages en prises de vue réelles semblent autant d’incursions dans des maisons de poupées, qu’il s’agisse de ses choix de mise en scène, du soin fétichiste apporté aux décors, du look des personnages et de sa façon d’assumer et d’exploiter l’artificialité. The Grand Budapest Hotel, son dernier long métrage en date, en était peut-être l’expression la plus nette – on a le sentiment d’entrer dans le film comme on ouvrirait une adorable maison rose posée sous un sapin. L’Île aux chiens n’est pas la première incursion d’Anderson dans le cinéma d’animation en stop-motion. Il y a bientôt 10 ans, le réalisateur signait le bien nommé Fantastic Mr Fox, mais le style visuel comme les références sont bien différents dans cette Île aux chiens, qui emprunte au bunraku comme à toute une frange du cinéma japonais.
Dès ses premiers plans, L’Île aux chiens est beau à tomber. Les textures, les couleurs, le design des maquettes – tout est absolument adorable, ouvert à la rêverie, et rendu immédiatement vivant par les mouvements de caméra signatures du réalisateur. Car on est ailleurs, au Japon comme on l’a dit, dans l’imaginaire bricoleur d’un Michel Gondry parfois, mais on est avant tout dans un pur film de Wes Anderson ; à l’image du casting vocal d’habitués comme lors de clins d’oeil à son propre cinéma – on croit le temps d’un plan recroiser le loup vu au loin dans Fantastic Mr Fox.
Le film, visuellement, est d’une inventivité permanente dans ses prises de vue – on oublie souvent que derrière l’animation il y a un travail de mise en scène aussi digne d’intérêt que dans le cinéma live, ce que L’Île aux chiens rappelle à chaque instant. Avec son mood particulier, le film est à contre-courant de tout un flot d’animation industrielle qui ne sait pas prendre son temps et qui ne connaît au mieux que la précipitation, au pire que l’hystérie pour donner l’impression qu’il se passe quelque chose à l’écran. Wes Anderson y parvient ici à son propre rythme, propice à la fois à un tout-fantaisiste et un tout-poétique… mais qui laisse suffisamment de place à une évidente allégorie politique. C’est une dimension abordée en creux dans The Grand Budapest Hotel, élégante comédie sur un monde prêt à basculer dans la barbarie. C’est encore plus direct ici, une surprise dans un film que l’on pourrait penser destiné à un public plus jeune – mais c’est aussi une preuve de la haute estime que le réalisateur, très généreux, a de ses spectateurs. Ce nouveau film, à tous les niveaux, est un festin.