LES INDESTRUCTIBLES: la critique

Super-héros à la retraite, Bob et Hélène Paar (ex-Mr. Indestructible et ex-Elastigirl) mènent une vie insipide et presque ordinaire avec leurs trois enfants, Violette, Flèche et Jack-Jack. Convié sur une île pour une mission secrète, Bob saisit l'
Super-héros à la retraite, Bob et Hélène Paar (ex-Mr. Indestructible et ex-Elastigirl) mènent une vie insipide et presque ordinaire avec leurs trois enfants, Violette, Flèche et Jack-Jack. Convié sur une île pour une mission secrète, Bob saisit l'occasion pour enfiler de nouveau sa combinaison en latex.
UN AIR DE FAMILLE
Mariés, trois enfants, pavillon excentré, inertie et neurasthénie. L'American Way of Life de Brad Bird n'a rien à envier aux romans-photos pastel, dépressifs et policés. Et pourtant. Insolent dans ses moindres déraillements, échevelé, passionné, le dernier champion des studios Pixar engloutit (une nouvelle fois) toute concurrence et la renvoie (encore) à ses laborieuses études. La maturité, l'intelligence, la subtile balance entre les déferlements d'humour et les prouesses abracadabrantes: plus adulte et plus extravagant que ses prédecesseurs, Les Indestructibles et son ingénieux pilote brassent en moins d'un quart d'heure tous les superlatifs. Impossible de lutter, impossible de passer sous silence une telle régularité dans l'excellence. Le Monde de Nemo semblait un Olympe inébranlable, Les Indestructibles se presse à ses côtés et gravit l'échelon manquant, celui des humains. Les jouets, les fourmis, les monstres et les poissons parlaient sans détour de la famille, réajustée ou écartelée. Le second long métrage de Brad Bird, transfuge bienheureux du département animation de la Fox, s'empare elle d'un vrai ménage, sans pièces rapportées ni psychologie hâtive. Les travaux pratiques frisent le prodige, Bird porte à bras le corps un vaisseau turbulent. Les personnages et leur chapelet de névroses ont beau reposer sur une trame séculaire et une maîtrise flamboyante, Les Indestructibles n'a pas à rougir de ses excès.
QUAND JE SERAI GRAND...
L'équation est simple, l'impulsion enfantine. Mais Brad Bird croque avec hardiesse et sensibilité les travers de la vie quotidienne, épingle les medias, exhume super-héros, gravures rétro, bonhomie seventies, dans un étourdissant manège de clins d'oeil gourmands et d'influences carillonnantes. Le métissage brocarde aussi bien la mythologie James Bond, Le Surfer d'argent, Les Quatre Fantastiques, X-Men, Godzilla - et la liste ébouriffante est loin d'être exhaustive -, mais ce bonheur de la citation n'entrave jamais l'intrigue. L'amusante ressemblance physique entre Syndrome et Brad Bird jette un parallèle piquant. Garnement buté, fan idôlatre de M. Indestructible, le rouquin pernicieux ressuscite une aire de jeux nostalgique, à la mesure de son amour (et de sa haine) pour les sauveurs anonymes en collants. L'inspiration de Bird est motivée par la même impatience: les gimmicks, les punchlines, ces fameux monologues assumés clament son attachement sincère pour la série B, à laquelle s'ajoutent des digressions émouvantes sur la vie de couple et l'enfer de la différence. Là où d'autres patinent dans un entonnoir de soupe aux simagrées (l'horripilant Gang de requins), Les Indestructibles prend le temps de s'échapper. Bob et Lucius tergiversent sur leurs dangereuses missions bénévoles, Helen s'est résignée à une pieuse destinée de mère prodigue. Mais le doute s'insinue; parachuté dans la jungle, un bedonnant colosse masqué dévale les précipices et cavale après une jeunesse perdue.
LA VIE COMME ELLE VIENT
Brad Bird célèbre les enfantillages jusqu'à l'absurde et au fétichisme, mais ce plaisir du travestissement et ces dilemmes identitaires propres à l'univers des super-héros, n'esquivent aucune noirceur. Aucun Parr n'est indestructible et l'innocence des enfants n'est jamais bêtifiée. Fins tacticiens, jamais dupes de leur condition, les jouets rivalisaient avec les hommes dans Toy Story. Ouvertement régressif, Les Indestructibles revient vers l'âge tendre pour mieux apprécier les lâchetés et les petitesses de la vie d'adulte. La satire de la bureaucratie, cette pesante anormalité qui paralyse Flèche et Violette, l'égoïsme et la culpabilité des parents: un lieu commun ailleurs qui prend ici une dimension salvatrice. Peu de films d'animation (à l'exception de la parenthèse enchantée Ghibli et Pixar, chefs de file incontestés) réconcilient les publics, les genres et les registres avec autant de finesse et de pertinence. Bird ne touille pas dans un pot-pourri de raccourcis paresseux, il les précède ou les réinvente, fait sienne une histoire d'une banalité presque embarrassante. Mais à la vision du métrage, la réussite est saisissante et totale. Les mentons proéminents et les mollets filiformes, les contorsions et les métamorphoses fascinantes ne détournent pas de l'essentiel. Les Indestructibles a durement gagné ses galons de meilleure comédie familiale, meilleur film d'action, meilleur ambassadeur de super-héros de ces dernières années. Incroyable? Mais vrai.