Eros
Italie, 2003
De Michaelangelo Antonioni, Steven Soderbergh, Kar-wai Wong
Scénario : Michaelangelo Antonioni, Tonino Guerra, Steven Soderbergh, Kar-wai Wong
Avec : Alan Arkin, Christopher Buchholz, Chen Chang, Robert Downey Jr, Ele Keats, Gong Li
Photo : Christopher Doyle, Marco Pontecorvo, Steven Soderbergh
Musique : Enrica Antonioni, Vinicio Milani, Peer Raben
Durée : 1h46
Sortie : 06/07/2005
Le Périlleux Enchaînement des choses, Equilibre et La Main: trois variations sur l'amour et l'érotisme, en hommage à Michelangelo Antonioni, avec la propre participation du maître.
SAISON SECHE
Eros n'a d'érotique que son idée, trois voix dissonantes sur le couple, ses désirs affamés et ses promesses de digressions voluptueuses. Des trois signatures émoustillantes, une seule satisfait pleinement à l'exercice: La Main de Wong Kar-Wai, vertigineux abîme au romantisme effréné. A défaut de partenaires valides (Pedro Almodovar s'est rétracté au dernier moment), la ronde galante du styliste hong-kongais sert de paravent à la débâcle. Elle surclasse une molle histoire d'adultère au traitement calamiteux et un essai dérisoire et poseur sur les hantises d'un Américain surmené. Le court d'Antonioni manifeste une évidente ferveur, mais l'enveloppe symbolique et simplette a de quoi laisser perplexe. Sans queue ni tête, Le Périlleux Enchaînement des choses se limite à un roman-photo de clichés extra-conjugaux. Les héroïnes abandonnées rasent les murs l'été et sautillent nues sur la plage au printemps. L'hymne à la nature, les étalons en liberté, les frous-frous transparents, les sens affolés, rien n'y fait: Antonioni rate une à une les marches de son ascension érotique. L'illustration paillarde est pourtant moins fallacieuse que celle de Soderbergh. Hors sujet volontaire, satire inepte, Equilibre joue la carte de la frilosité. Deux hommes s'ennuient ferme dans un cabinet médical. De retour avec une intrigue à tiroirs, Soderbergh passe habilement du coq à l'âne et du noir au blanc à la couleur. Le huis clos clame si fort son ironie et sa malice qu'on en vient à lui chercher un très sérieux message caché. La séance bouclée, point de salut. En effet, il n'y avait rien à comprendre.
HAUT LA MAIN
L'équilibre est rétabli par Wong Kar-Wai, fidèle à lui-même, intoxiqué par les réminiscences capiteuses de ses propres films. La Main pourrait être l'une des nombreuses chutes qui ont jalonné le tournage de 2046, elle lui emprunte ses acteurs, son compositeur (Peer Raben), ses boudoirs tamisés et ses éblouissantes cascades de soie. Un mood reconnaissable entre mille, une passion surannée soumise à une cadence plus soutenue. C'est à la suite de la parenthèse Eros que Wong invitera Gong Li (aguicheuse et spectrale, sans jamais se dévêtir) à rejoindre la distribution de 2046. La main fautive et effrontée est peut-être la même qui se dissimulait sous le gant noir d'une tricheuse. Le tailleur trop chaste (Chang Chen) est l'antithèse du Don Juan insatisfait endossé par Tony Leung. Les coutures sautent une à une, Wong consume ses plus beaux atours pour en révéler les accrocs insoupçonnés. Son art de la retouche et des artifices, le travail du tailleur en question, se déploie à merveille dans la retraite douloureuse d'un amour infirme et condamné d'avance. L'interprétation littérale (Le Périlleux Enchaînement des choses) et le caprice potache (Equilibre) font pâle figure, Eros ne trouve d'issue fiévreuse et poétique que chez Wong. Tourné dans des conditions drastiques, en pleine épidémie du SRAS, La Main ravit autant qu'elle frustre. Le petit tailleur n'existe que pour sublimer sa créature. Insaisissable, elle lui refuse un baiser funeste pour mieux vampiriser sa mémoire. Une seule main reptile a suffi.