Publié le 14/02/2010

BERLINALE 2010: remake, crise existentielle et vrai faux documentaire

A Woman, a Gun, and a Nuddle Shop (San Qiang Pai An Jing Qi)
Zhang Yimou est un habitué de la Berlinale dont il foule le tapis rouge pour la quatrième fois en compétition cette année et qui l’a vu accrocher un Ours d’Or à son palmarès en 1987 pour Le Sorgho Rouge. Fan du cinéma des frères Cohen il adapte ici Blood Simple dans le désert chinois. Monsieur Wang apprend que sa femme a une liaison avec son cuisinier. Il engage donc un policier corrompu pour se débarrasser des deux. Sa femme vient de faire l’acquisition d’un revolver car elle ne supporte plus la cruauté de son mari et a décidé de se supprimer si elle ne parvient pas à le tuer. Deux plans simples qui ne vont pas exactement se dérouler comme prévu. Le film est à la croisée des chemins entre le western et la farce tragi-comique, le tout à la sauce bien chinoise. Du premier il a le décor avec cette sorte de maison fortifiée perdue dans le désert, ici de magnifiques monts striés d’ocre surplombés par un implacable ciel bleu, des contreplongèes sur le bâtiment, un revolver et un duel de fin. De la farce il a le comique de situation et de gestes, un cocu avec de jolies cornes entouré d’une cour que l’on croirait toute droite sortie d’un pièce de Molière si ce n’est la chatoyance des costumes chinois aux couleurs plus éclatantes les unes que les autres. Un mélange improbable sur le papier mais qui fonctionne pour une grande part du métrage avec une économie de dialogues. L’évolution de l’intrigue se passant largement de commentaires. La contemplation joue donc un grand rôle dans le film qui est somptueusement filmé. Que ce soit les magnifiques plans dans le désert chinois, l’abondance des couleurs ou encore la scène d’ouverture et le duel final. L’humour n’est pas en reste mais, comme les frères Coen savent si bien y faire, il est noir et l’ironie tranchante.

Greenberg
Florence travaille comme assistante personnelle pour la famille Greenberg qui vit dans une jolie villa sur les hauteurs de Los Angeles. Elle a 25 ans, vit dans un modeste appartement et chante de temps en temps lors de soirées scène ouverte dans des bars. Sa vie va croiser celle de Roger Greenberg, le frère de son patron, qui emmènage comme dog-sitter alors que la famille part six semaines au Vietnam. Roger, 40 ans, vient de sortir de la clinique après une dépression nerveuse. Il est aigri, taciturne, possède un humour bien à lui et une langue bien pendue qui n’est pas dépourvue d’intelligence. Alors que Florence ne sait pas trop encore de quoi son futur sera fait, Roger semble lui ne pas avoir dépassé un stage situé des années en arrière et le retour au pays va s’accompagner de retrouvailles qui vont lui permettre de mettre certaines pendules à l’heure. Noah Baumbach (The Squid and the Whale) parle dans ce film de la difficulté de trouver sa voie dans la vie, que ce soit à 25 ou 40 ans. Des choix que l’on fait, volontaire ou forcé, et des conséquences qu’il faut porter, accepter. Le tout à Los Angeles qui ne se résume pas seulement aux clichés des palmiers, de la plage et des sirènes de Hollywood mais est aussi une ville dans laquelle des gens vivent tout simplement. Le film est porté par l’admirable performance de Ben Stiller, très bien entouré de Greta Gerwig et Rhys Ifans. Sujet psychologique oblige le film est très écrit mais sauvé par la profondeur et l’humanité qui se dégage des personnages.

Exit Through the Gift Shop
Présenté hors compétition ce documentaire est un peu l’objet filmique non identifié du festival. Il commence comme le reportage d’un exilé français, Thierry « Terry » Guetta, à Los Angeles sur le phénomène de l’art des rues. Caméraman amateur compulsif il se retrouve à filmer des artistes des rues pendant des années, filmant ainsi les plus grands de cette scène, jusqu’à ce qu’il croise Bansky et que celui-ci lui demande de montrer à quoi son prétendu documentaire ressemble. Il est vite clair que Terry n’a aucun talent et que son documentaire est irregardable. Bansky lui conseille alors de se mettre au travail et de montrer ce qu’il sait faire sur les murs. Terry le prend au mot et fait les choses en grand désorganisant bientôt une gigantesque exposition qui va le propulser au rang de star du jour au lendemain et le voir devenir millionnaire. Et le documentaire de devenir une dénonciation de Bansky sur la nature et valeur de l’art de la rue et de la célébrité. En effet, Bansky estime qu’il était important de faire un film sur le phénomène de l’art des graffiti dans les rues mais il se sert du (mauvais) matériel de Terry pour le faire. Des images qui se contentent de montrer les maîtres du jeu sur le terrain mais qui n’apportent aucune analyse, aucune interview poussées afin d’expliquer la naissance et les raisons de ce mouvement. Bansky peut bien se moquer de Terry, et il aurait tort de ne pas le faire tant le personnage se prend tellement au sérieux qu’il en est ridicule (« Andy Wahrol est mort. Je suis là. »), mais il est un peu facile de dire «Je pense que c’est un bon film, du moment que vos attentes sont quasi nulles » et ainsi servir un documentaire sans queue ni tête en toute impunité pour servir la propagation de la cause de l’art du graffiti en exposant superficiellement les possibles dérives. Puisque Bansky a des choses à dire sur le sujet peut-être qu’il devrait se mettre derrière la caméra et livrer un documentaire argumenté sur le sujet et, qui sait, ainsi connaître dans ce domaine la reconnaissance que Terry a connu en faisant le chemin inverse.

par Carine Filloux

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