Publié le 17/02/2010

BERLINALE 2010 : innocence perdue, oubliée, tuée

Bal (Miel) de Semih Kaplanoglu
Bal clot la « Trilogie Yusuf » de Semih Kaplanoglu. Le réalisateur turc a commencé à travailler sur le personnage de Yusuf à l’âge adulte dans Yumurto (Œuf), puis a observé le jeune homme dans Süt (Lait) avant de conclure ce flashback extensif avec le jeune garçon. Yusuf vit avec ses parents dans une région montagneuse isolée, dans une maison située à l’écart du village. C’est un garçon solitaire qui passe les récréations dans la classe et a développé un lien très étroit avec son père apiculteur, dont les ruches sont accrochées dans les arbres. Les moments qu’il passe avec lui, que ce soit pour l’accompagner en forêt, ou rester à la maison sont clairement les plus heureux de sa petite existence. Jusqu’au jour ou son père tarde à rentrer d’un déplacement de travail dans les montagnes. Semir Kaplanoglu réalise un portrait délicat et tendre de cet enfant de six ans. Sa caméra se pose en de longs plans fixes et observe la vie qui passe. A l’école avec l’apprentissage de la lecture et du regard des autres, à la maison à travers ce lien infiniment précieux qui lie l’enfant à son père et dans cette forêt si pleine de mystères à découvrir. Un film sans musique, qui laisse contempler ses cadres magnifiques et le jeune Bora Altas, découvert dans la rue par le réalisateur, qui se sort avec les honneurs d’un premier rôle exigeant.

Please Give de Nicole Holofcener
Présenté hors compétition Please Give est une comédie américaine plutôt efficace et grincante qui n’évite cependant pas certains clichés. D’un côté le couple vendeur de meubles vintage formé par Kate (Catherine Keener), aux prises avec sa conscience elle développe une obsession à venir en aide aux minorités moins bien loties, et Alex (Oliver Platt), businessman sans conscience sinon celle de sa femme sur le point de fauter, flanqué d’une adolescente disgracieuse de quinze ans obsédée par ses boutons et les jeans à 200 dollars. De l’autre leur vieille voisine Andra, une cousine américaine de Tatie Danielle, dont ils ont acheté l’appartement et attendent donc la mort avec impatience afin de pouvoir agrandir le leur. Rebecca (Rebacca Hall), radiologue spécialisée dans les mammographies, bonne personne et cœur à prendre, vient tous les jours s’occuper de sa grand-mère qui au décès de leur mère les a élevées elle et sa sœur Mary (Amanda Peet), qui hait sa grand-mère, travaille dans un institut de beauté est obsédée par la sienne et le dos musclé de la nouvelle petite amie de son ex. Tout ce petit monde va se croiser et essayer de répondre à la question : comment bien vivre et être honnête avec les autres et avec soi-même ?

Shekarchi (The Hunter) de Rafi Pitts
Présent à Berlin en sélection officielle en 2006 avec Zemestan, Rafi Pitts retrouve la compétition avec son nouveau long métrage. Shekarchi relate l’histoire d’Ali qui vient de sortir de prison et travaille comme gardien de nuits dans une usine. Dans ces conditions la vie avec sa femme, qui travaille le jour, et sa fille n’est pas optimale mais le couple et heureux. Un jour Ali retrouve la maison vide et après des heures d’attente apprend que sa femme a été tuée par un débordement policier lors d’une manifestation. Sa fille est elle portée disparue et sera retrouvée le lendemain, morte également. Dans un moment de détresse profonde Ali abat deux policiers. Il fuit dans la montage, où il a l’habitude de chasser, vite poursuivit par une voiture de police. La traduction allemande du titre du film signifie « Le temps de la colère » et elle illustre bien le cheminement du personnage d’Ali. La frustation journalière de ne pouvoir passer plus de temps avec sa femme et sa fille, l’enfermement dans la jungle de béton qu’est Téhéran, la longue attente au commissariat avant de savoir ce qui est arrivé à sa famille, l’attente supplémentaire pour connaître le destin tragique de sa fille. La tension est palpable et l’explosion inévitable. Rafi Pitts signe de nouveau un film extrèmement noir et hypnotique où l’espoir apparaît seulement en touche de couleur sur la voiture de son personnage. Les plans s’enchaînent, les cadres sont hermétiques, les dialogues réduits au minimum et l’issue, forcément tragique.

par Carine Filloux

Partenaires