American Sniper
États-Unis, 2014
De Clint Eastwood
Avec : Bradley Cooper
Photo : Tom Stern
Durée : 2h12
Sortie : 18/02/2015
Tireur d'élite des Navy SEAL, Chris Kyle est envoyé en Irak dans un seul but : protéger ses camarades. Sa précision chirurgicale sauve d'innombrables vies humaines sur le champ de bataille et, tandis que les récits de ses exploits se multiplient, il décroche le surnom de "La Légende". Cependant, sa réputation se propage au-delà des lignes ennemies, si bien que sa tête est mise à prix…
ALL YOU NEED IS KILL
Au vu de son incroyable triomphe américain, on aurait pu craindre d’American Sniper un pamphlet puant sur l’Amérique toute-puissante. Cette adaptation des mémoires de Chris Kyle a en effet été embrassée avec ferveur outre-Atlantique par le même public qui avait porté aux nues La Passion du Christ il y a dix ans, faisant du nouveau Eastwood un invraisemblable sleeper hit. Au final, on est à la fois soulagé de découvrir un film plus nuancé que prévu – mais également terriblement inconséquent. Le gros du métrage est consacré à l’irrépressible besoin de Chris Kyle, le tireur d’élite le plus efficace de l’armée, de retourner, encore et toujours, au front. Chaque fois qu’il s’arrête, cette nécessité le dévore. Il doit y retourner – pour protéger ses camarades ? Ou est-ce pour agrandir son tableau de chasse ? On se retrouve alors devant une version moins forte et moins radicale de Démineurs de Kathryn Bigelow, où le retour à la maison était un échappatoire vite transformé en horizon bouché, un cataclysme qui coupait le film dans son élan. Eastwood, lui, dilue les enjeux à travers un ping pong géographique laborieux et lassant où les missions succèdent aux permissions, sans jamais creuser plus avant ni la vie de famille de Kyle, ni ses doutes.
L’ULTIME SNIPER
Il y avait pourtant fort à faire avec le(s) point(s) de vue de ce sniper, témoin à distance, surplombant le champ de bataille à l’abri, mais connaissant chaque visage de l’ennemi à travers sa lunette. Kyle restera pourtant un personnage éminemment frustrant. On sent qu’Eastwood le rêve ambigu et fascinant, et Bradley Cooper fait preuve d’une belle humilité en osant donner au personnage une sorte de monolithisme minéral. Mais le père de Kyle avait mis Eastwood en garde : "Manquez de respect à mon fils et je déchaînerai les Enfers" (verbatim !) En résulte un personnage incroyablement peu creusé, aux questionnements de surface. Si ses doutes se contentent de passer en un éclair sur son visage (détail qu’Eastwood veille à préciser dans chaque interview), qu’en est-il alors de son positionnement, et celui du film, sur la guerre en Irak, ici traitée comme une pure toile de fond, un prétexte, dont le bien-fondé n’est jamais remis en cause, ni même questionné ? Si encore on était devant un bon film d’action, mais ce n’est même pas le cas. Cette approche tiède, "pudique" diront les vendus à Clint, se poursuit jusque dans le dernier acte, où on esquisse brièvement un nouveau destin à notre héros, et avec lui un nouveau sens au film. Mais c’est pour mieux être plombé par un évènement réel survenu après la publication du livre de Kyle. Alourdi par ce boulet narratif qu’il ne prend pas la peine d’éclaircir, et encore moins de mettre à profit pour y donner du sens, Eastwood conclue son film sur une note floue. On ressort d'American Sniper en se demandant bien ce qu’on vient de regarder pendant 2h12.