Jacques Tourneur

Jacques Tourneur
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De Martin Scorsese à M.Night Shyamalan, en passant par les rivages les plus effrayants d’Asie, nombreux sont les enfants (plus ou moins éloignés, revendiqués ou non) du cinéma de Jacques Tourneur. Peu considéré au faîte de sa carrière (la trilogie Lewton au début des années 40), Tourneur a pourtant laissé dans son sillage un solide lot de classiques et sa patte bien à lui, joueuse et sombre, élégante et féline.

L’OMBRE D’UN DOUTE

"Du sang qui se répand sous la porte et qui fiche la trouille à tous les gosses présents"... lorsque Martin Scorsese évoque les souvenirs marquants de son enfance dévoreuse de cinéma (Mes plaisirs cinéphiles, Petite bibliothèque des Cahiers du cinéma), L’Homme léopard, et plus particulièrement la mise à mort de la jeune Consuelo, figurent à une bonne place. Homme des ombres mélancoliques, Jacques Tourneur pourrait bien s’y fondre et s’y perdre, lui qui fut souvent réduit à l’état de simple faiseur mais dont le nom est aujourd’hui écrit en lettres dorées, lui qui trempe dans une double culture (Français mais naturalisé Américain dans sa jeunesse) et fera du déracinement l’une des clefs d’un pan de sa filmographie, lui qui aura posé sa signature sur tous les genres possibles et imaginables. Drame, comédie, film noir, horreur, fantastique, péplum, aventure, western et film de pirates seront passés entre les doigts d’un passe-partout à l’œil aiguisé et aux atouts polymorphes. Né à Paris le 12 novembre 1904, Jacques Tourneur suit son père, le cinéaste Maurice Tourneur, lorsque celui-ci part pour Hollywood en 1913. Début 30’s, Tourneur fils fait script doctor et monteur pour son père, et signe ses premiers longs en France, où il dirige notamment Jean Gabin (Tout ça ne vaut pas l’amour) ou Renée Saint-Cyr (Toto).

LES GRIFFES DE LA NUIT

Jonglant entre les deux rives de l’Atlantique, Jacques Tourneur fait une rencontre décisive en 1935. Le cinéaste est engagé pour diriger la deuxième équipe sur Le Marquis de Saint-Evremont, une production David O’Selznick, et rencontre Val Lewton lors du tournage. Quelques années plus tard, en 1942, alors que Tourneur s’est depuis exercé sur des courts métrages américains, Lewton est nommé à la tête du département horrifique de la RKO, et fait appel à sa vieille connaissance pour diriger leur première production. Le studio est dans le rouge, souffre de l’échec commercial d’un certain Citizen Kane, mais retrouve des couleurs grâce à La Féline. Produit pour seulement 134.000 $, sorti discrètement, le film rapportera plus de 8.000.000 $ dans le monde. Il s’agit de l’histoire d’une jeune femme serbe vivant aux Etats-Unis, souffrant d’un mal étrange qui la transforme, dans les tourments de la nuit, en une panthère tueuse. Pour jouer l’héroïne, Tourneur engage une comédienne française, Simone Simon, visage de poupée et tempérament enflammé (les rumeurs se nourrissent goulûment de son attrait pour les jeunes gigolos qu’elle s’offre régulièrement). Irena Dubrovna (le nom de son personnage) incarne, elle, une femme prise dans une terreur sexuelle faisant tout le sous-texte d’une Féline qui redéfinit la mise en scène de l’horreur: correspondances poétiques et suggestion angoissante. Les fondations de la Trilogie Lewton sont posées.

DAWN OF THE DEAD

Les taglines pourront hurler à grands coups d’exclamations leur grand spectacle d’horreur digne des productions Universal d’antan ("A Kiss Could Change Her Into a Monstrous Fang-and-Claw Killer!" pour La Féline, "She's Alive... Yet Dead! She's Dead... Yet Alive!" pour Vaudou, et "Women Alone the Victims of Strange, Savage Killer!" pour L’Homme léopard), Tourneur et Lewton misent avant tout sur l’imagination du spectateur, tranchant avec les précédents modèles esthétiques proposés au public (tels le Dracula de Browning ou le Frankenstein de Whale). Comme La Féline, Vaudou choisit une héroïne féminine, déracinée (une infirmière canadienne envoyée dans les Caraïbes pour soigner une patiente fortunée) et confrontée à l’étrange (maléfices vaudous et zombies errants). Tourneur atteint peut-être ici son sommet en matière d’onirisme merveilleux et inquiétant, plus particulièrement lors de la traversée sauvage et nocturne de l’infirmière et de sa malade, guidées par le bruit du vent et les incantations vaudous. Troisième marche de la trilogie, L’Homme léopard, malgré un titre opportuniste qui se rappelle au bon souvenir de La Féline, s’éloigne des terres fantastiques et souffre quelque peu d’un script inégal. Le film vaut surtout pour son jouissif exercice de style, la mise en scène magistrale, racée et vicieuse des trois meurtres de trois malheureuses jeunes femmes.

L’HOMME A TOUT FAIRE

Après sa prestigieuse passe de trois, Tourneur se voit confier quelques projets de stars: Days of Glory, film de guerre avec Gregory Peck, ou l’assez anecdotique Experiment Perilous (traduit Angoisse en français), suspens psychologique façon Gaslight de Cukor, mettant en scène la sublime Hedy Lamarr. En 1947, Tourneur signe l'un de ses films majeurs avec La Griffe du passé, un film noir qui réunit Robert Mitchum et Kirk Douglas. Toujours avide de changements, le cinéaste dirige Burt Lancaster dans une aventure médiévale (La Flèche et le flambeau), et choisit Jean Peters pour incarner une charmante pirate dans La Flibustière des Antilles. Après quelques westerns (Great Day in the Morning, Wichita), le réalisateur se remet, à la fin des années 50, aux ambiances fantastiques avec Night of the Demon (Rendez-vous avec la peur), trempé dans l’atmosphère étrange de Stonehenge, en Angleterre. Le tournage fut l’occasion de quelques affrontements entre Tourneur et ses producteurs, le cinéaste étant finalement contraint à filmer le monstre qu’il aurait voulu cacher dans les ténèbres qu’il chérit tant. Aujourd’hui, la vision kitsch d’une drôle de bestiole, marionnette bricolée, lui donne fortement raison. A l’approche des années 60, Tourneur s’oriente vers la télévision, ou l’Italie, où il filme un péplum (La Bataille de Marathon, mettant en scène le huilé Steeve Reeves). Et après deux collaborations avec Vincent Price, le cinéaste s’en retourne dans son pays natal. Il s’éteint une dizaine d’années plus tard, en 1977, en Dordogne. Et même si jamais dans sa vie il ne reçut la moindre récompense, son génie n’est, lui, plus remis en cause.

par Nicolas Bardot

En savoir plus

1964 The City Under the Sea 1964 The Comedy of Terrors 1960 La Bataille de Marathon 1957 Rendez-vous avec la peur 1957 Nightfall 1955 Wichita 1951 La Flibustière des Antilles 1951 La Flèche et le flambeau 1950 Stars in my Crown 1948 Berlin Express 1947 La Griffe du passé 1944 Angoisse 1944 Days of Glory 1943 L’Homme léopard 1943 Vaudou 1942 La Féline 1934 Pour être aimé 1933 Toto 1931 Tout ça ne vaut pas l’amour 1931 Un vieux garçon

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