Christophe Gans
Dix ans déjà. La sortie de Silent Hill, le troisième long métrage de Christophe Gans, a lieu une décennie, presque jour pour jour, après la sortie du premier, Crying Freeman. Dix ans pendant lesquels Christophe Gans a cimenté un personnage unique, ambitieux, exigeant. De tous les cinéastes français ayant débuté dans les années 90 et qui aspiraient à renouveler le genre en France, Gans est celui qui aura le mieux réussi, avec trois films (certains assez vilipendés) pour seuls bagages. Petit à petit, il a su imposer un style personnel à l’intérieur d’un océan de références. Retour sur un parcours en marge.
L’HOMME LIBRE
Le milieu des années 90 est une période de petits soubresauts dans la production cinéma en France. Luc Besson et le duo Caro & Jeunet ont ouvert la voie dans laquelle – "s’engouffrent" est un bien grand mot – s’immiscent quelques cinéastes. Christophe Gans en est l’un des fers de lance avec Crying Freeman, vite suivi par Bernie d’Albert Dupontel, Dobermann de Jan Kounen, Les Milles merveilles de l’univers de Jean-Michel Roux, Le Ciel est à nous de Graham Guit… Ceux dans la presse qui avaient qualifié de "Nouvelle Nouvelle Vague" ce mini-mouvement sont sans doute allés un peu loin. Mais nul doute qu’une volonté commune est à l’œuvre: dynamiter les conventions du genre en France et faire émerger des films plus jeunes, plus vifs, plus atypiques. Christophe Gans, un peu plus âgé que les autres, a déjà un passé et semble avoir théorisé sa passion à l’extrême. Son Crying Freeman, film d’arts martiaux incroyablement soigné et ambitieux pour un premier long, est le fruit de ses longues années chez Starfix, l’emblématique magazine du cinéma bis qu’il a contribué à créer au début des années 80. Aux côtés de Doug Headline, futur réalisateur de Brocéliande, Gans y a défendu ardemment le(s) cinéma(s) de genre, érigeant en héros des Bava et des McTiernan. Son premier film, après un sketch du Necronomicon en guise de bout d’essai, est tout à la fois un polar, un film de sabre et une bluette. Le scénario est sans doute un peu désincarné, Crying Freeman est malgré tout un film qui frémit: c’est une audacieuse déclaration d’amour à tout ce qui a nourri Gans depuis l’enfance.
LET’S MAKE A PACT
Que Christophe Gans soit proche de ses fans ne surprendra personne: il est comme eux. Collectionneur fou, avide de laserdiscs puis de DVD, amateur de jeux vidéos et de comics, Gans est partout, Gans s’alimente, il ingurgite des influences, des images pour peaufiner ses œuvres, amalgames de tout ce qu’il aime. Ses premiers projets à la sortie de l’IDHEC avaient été sèchement refusés par le CNC. Aussitôt, Gans se retrouve en terrain ennemi. La France de 1982 est-elle prête à accepter un renouveau du cinéma de genre? C’est seulement après cette fameuse mini-Nouvelle Vague, quinze ans plus tard, après que certains ont essuyé les plâtres, que Christophe Gans réalise un film 100% français (pour Crying Freeman, Samuel Hadida avait reçu des financements des quatre coins du monde). Ce sera Le Pacte des loups, projet encore plus ambitieux que Freeman, une fresque historique à gros budget sur la Bête du Gevaudan. Entendre Gans parler de ce film protéiforme est un régal. De ses années à Starfix, Gans a gardé une éloquence qui lui permet de défendre ses films avec intelligence et ferveur. Les mauvaises langues diront que le commentaire audio est meilleur que le film, accusation qui n’est pas infondée tant Le Pacte… est foutraque, invraisemblable, et un soupçon trop long. Mais cet aspect grand-guignolesque est ce qui donne au film sa saveur. Le Pacte des loups n’est pas lisse, les coutures entre les influences (wu xia pian, film d’horreur, cape et épée) se sentent. Mais là est le bonheur de ce film terriblement décalé, terriblement passionné, pêchant (et réussissant) par excès de tout.
LA COLLINE A DES JEUX
Silent Hill n’est que le troisième long métrage de Gans en dix ans de carrière. Le problème étant moins la prolixité que la malchance: la plupart de ses projets n’ont pas abouti. Le premier, c’est bien entendu le légendaire Nemo, qu'on aura jamais fini d'attendre. Cette fresque sous-marine à laquelle il s’est attelé juste après Crying Freeman devait retracer les jeunes années du héros de Jules Verne et les origines de sa misanthropie. Christophe Gans voulait Billy Crudup (à l’époque encore inconnu) pour jouer le capitaine. Les financiers allaient lui imposer Keanu Reeves. Après des mois de surplace, le projet meurt. Gans se console avec Le Pacte des loups puis se tourne vers Bob Morane. Vincent Cassel est annoncé au casting, des dates de tournage sont évoquées… Mais pour une multitude de petites raisons, une fois de plus, le film ne décolle pas. Place à Rahan: on parle de Mark Dacascos pour être le fils de Crao. Gans veut faire un film d’aventures préhistorique exigeant et réaliste. Les chaînes de télévision française se montrent frileuses, les sous tardent à tomber. Fin du projet. Silent Hill, et sa totale réussite artistique, montrent que Gans a bien fait de se désister de ses précédents projets et refuser de concrétiser autre chose que sa vision. L’homme, qui avait déjà eu des propos véhéments sur nombre d’adaptations, a mis la main à la pâte pour montrer l’exemple et réussir ce qui est, indubitablement, l’une des meilleures transpositions d’un jeu vidéo au cinéma. Gans pompe, il adapte, il cite. Mais il le fait toujours à sa manière, comme il l’entend. C’est ça, le mystère Christophe Gans.
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2006 Silent Hill 2001 Le Pacte des loups 1996 Crying Freeman 1994 Necronomicon (sketch)