Busby Berkeley
Il n’y a que les cinéphiles pour connaître son nom aujourd’hui. Les années 70 eurent Bob Fosse, les années 50 Stanley Donen, Les années 40 Minnelli, mais bien avant eux, et pouvant s’arroger les mêmes titres de gloire, Busby Berkeley fonda la comédie musicale hollywoodienne au début des années 30. Avec ses tableaux somptueux et son inventivité permanente, cet illustre méconnu mérite un moment de revenir au devant de la scène.
LE SOLDAT REALISATEUR
Né en 1895 tout comme le cinématographe, Busby Berkeley commença sa carrière en 1918 comme lieutenant dans l’artillerie américaine en menant des parades. Après l’armistice, il fut chargé de mettre en scène des shows pour distraire les soldats avant de revenir à Los Angeles pour tenter le métier d’acteur et d’assistant metteur en scène. Commandité pour réaliser la comédie musicale Holka-Polka, il se découvre alors un talent particulier pour diriger des numéros chorégraphiés remarquables et compte très vite parmi les metteurs en scène de Broadway les plus en vue. Son arrivée à Hollywood se solde par un sentiment de frustration: à cette époque les chorégraphes de musicals ne peuvent choisir ni les cadrages ni le montage des séquences, privilège réservé au réalisateur. Il convainc le producteur Samuel Goldwyn de lui en laisser le pouvoir sur ses futurs travaux. L’une de ses premières innovations est de n’utiliser qu’une seule caméra – règle qu’il observera toute sa carrière – et de montrer les girls en gros plans. Mais le déclin soudain du genre en 1930 fait envisager à Berkeley de retourner à Broadway quand le producteur de la Warner, Darryl F. Zanuck, lui donne carte blanche sur le nouveau projet 42ème Rue qui devient un énorme succès. En récompense, on lui offre un contrat de sept ans qui lui ouvre les portes du succès. Entre 1932 et 1937, il est de tous les grands musicals de la Warner: Prologues (1933), Fashions of 1934 (1934), Wonder Bar (1934), Dames (1934), Palace Hotel (1935), Chercheuses d’or III (1937), Chercheuses d’Or à Paris (1938). Garden of the Moon (1939) est le dernier opus qu’il commet pour la Warner avant de rejoindre la MGM.
CENT GIRLS POUR UN HOMME
C’est le début d’une nouvelle aventure quand en 1939 il met en scène Mickey Rooney et Judy Garland dans Place aux rythmes, deux jeunes stars qu’il retrouvera dans Débuts à Broadway (1941). Banana Split (1943) avec Alice Faye et Carmen Miranda marque un sommet d’imagination dans sa carrière avec quantité de numéros ayant pour thème les fruits et l’exotisme, notamment dans The Lady with the Tutti-frutti Hat. Un peu passé de mode après la guerre – c’est la période glorieuse de Vincente Minnelli qui fait naître une toute nouvelle esthétique - il ralentit la cadence de ses tournages mais réalise parmi les plus beaux véhicules pour la star "aquatique" Esther Williams, dont Million Dollar Mermaid (1951) et Easy to Love (1953). En 1954, il réalise la première comédie musicale en Cinémascope, Rose Marie dont certaines séquences se déroulent dans les paysages naturels des Rocheuses. Mais Busby Berkeley est peu à peu rattrapé par le démon de l’alcool, passant parfois des journées entières à siroter du Martini dans sa baignoire. Un drame survient lorsqu’il cause un accident de la route qui coûtera la vie à deux personnes, même s’il sort acquitté du procès. La pente est de plus en plus aiguë, sa carrière à Hollywood semble terminée et il tente de mettre fin à ses jours après le décès de sa mère à laquelle il était resté très lié. De justesse il échappe à la mort malgré une overdose de barbituriques, mais sort mentalement détruit et presque fou. Son œuvre sensationnelle est redécouverte à la fin des années 70, alors qu’on le considère enfin comme l’un des maîtres du genre et non plus comme un excellent technicien plein d’idées.
LE CREATEUR
Au sens premier du terme, Busby Berkeley fut un authentique génie. Sa conception de la comédie musicale et la manière dont il réussit à transcender le genre par le biais du médium cinéma furent cruciales pour l’évolution du genre. Conscient des limites d’un spectacle de scène qui ne peut par définition offrir qu’une vue de face, il utilise la caméra comme un démultiplicateur d’espaces et de perspectives qui permet au spectateur de cinéma d’appréhender le show d’une toute autre manière: en profondeur. Zooms et dé-zooms vertigineux, panoramiques et travellings élégants sont le secret de son succès. Il invente même ce qu’on appelle communément la "plongée Busby", une prise de vue verticale descendante qui permet de fabuleux effets de kaléidoscope sur les chorégraphies, les costumes et les accessoires des girls comme on peut en voir un parfait exemple dans le numéro I Only Have Eyes for you de Dames. Cela deviendra d’ailleurs sa "patte" la plus reconnaissable. Typique de sa quête permanente de l’esthétique extrême, cette innovation spectaculaire compte parmi les plus fameux reflets de savoir-faire et de technique perfectionnistes qu’Hollywood offrit durant son Age d’or. Mais Berkeley est également l’homme des décors pharaoniques qui utilise les services des directeurs artistiques les plus talentueux de l’industrie, plaçant cent girls sur des plates-formes circulaires en mouvement ou sur de frêles escaliers, avec un sens inné de la synchronisation qui permet des illusions optiques de toute beauté. Dans un esprit de démesure absolue qui érige chacune de ses œuvres au rang d’œuvre d’art, Busby Berkeley, quasi-oublié de nos jours, n’a assurément pas accédé à la postérité qu’il mérite.
En savoir plus
1954 Rose Marie 1953 Easy to Love 1951 Million Dollar Mermaid 1950 Two Weeks with Love 1943 Banana Split (réalisateur) 1942 Pour moi et ma Mie (réalisateur) 1941 Débuts à Broadway (réalisateur) 1940 Strike up the Band (réalisateur) 1939 Place aux rythmes (réalisateur) 1937 Hollywood Hotel (réalisateur) 1937 Chercheuses d’Or III 1937 Varsity Show 1935 Palace Hotel (réalisateur) 1934 Dames (réalisateur) 1934 Wonder Bar 1934 Fashions of ‘34 1933 Gold Diggers of ‘33 1933 Prologues 1933 Roman Scandals 1933 42ème Rue 1932 Le Roi de l’Arène