Salon de l’Édition DVD Indépendante: entretien avec Natacha Missoffe
La 4e édition du Salon de l’Édition DVD Indépendante a lieu ce weekend à Paris ! 18 éditeurs DVD indépendants sont présents pour vous faire découvrir des centaines de DVD en tout genre. Des projections, rencontres et dédicaces auront lieu au cinéma La Clef. Après Potemkine et Blaq Out ces deux dernières années, c'est Ed Distribution qui, à travers son éditrice Natacha Missoffe, a répondu à nos questions. Elle nous parle de cinéma d'auteur pur et dur, de diversité culturelle et (un peu) de Star Wars...
Comment définiriez-vous la ligne éditoriale de Ed Distribution ?
Des films qui nous prennent aux tripes ! On peut distinguer deux lignes dans les films que nous défendons : certains sont plutôt oniriques, dans des univers imaginaires (comme Guy Maddin ou les frères Quay). D’autres plutôt réalistes, entre documentaire et fiction (comme David Williams ou Matt Porterfield). Mais dans les deux cas, il s’agit de films singuliers, de démarches artistiques très personnelles, qui nous ont provoqué des émotions très fortes. Des films pour lesquels ont se dit : “il faut que les gens les voient”.
Ed Distribution entretient une relation durable et fidèle avec certains auteurs, je pense par exemple à Guy Maddin ou Bill Plympton. Est-ce un atout pour savoir comment mieux sortir leurs films qui sont d'un genre... très particulier ?
Au fil du temps, il s’est créé avec ces réalisateurs une relation qui va au-delà de la simple collaboration professionnelle. Leurs univers nous touchent particulièrement et nous avons pu avoir avec eux des échanges très riches. On les connaît bien, on comprend leur démarche et du coup on peut plus facilement parler de leur univers. Mais ce qui nous importe le plus, c’est de donner envie au plus de gens possible de découvrir ces films “très particuliers”, de dépasser le cercle de fans qui suivra un auteur quoiqu’il arrive. Et là, chaque nouveau film est différent et apporte son lot de questionnement sur la meilleure façon de le sortir.
Comment travaille t-on sur la sortie d'un cas aussi atypique que In the Family : un premier film d'auteur, passé hors du circuit des grands festivals, et qui dure 3 heures ? Avez-vous ressenti de la curiosité, de la frilosité de la part des salles ?
Quand on sort un film de 3 heures dont personne n’a jamais entendu parler et fait par un réalisateur inconnu, on ne démarre pas dans la facilité, c’est certain. Mais la vraie difficulté avec In the Family, c’est qu’il est un peu entre deux. C’est un film assez classique dans son propos comme dans sa réalisation. Et en même temps, au fond, il est subtilement décalé. Du coup, les salles, les journalistes ou les spectateurs ne savent pas bien comment l’aborder. Dans ces cas-là, ça aide beaucoup d’avoir un thème bien précis. Nous avons beaucoup travaillé auprès du public LGBT puisque le film parle de l’adoption d’un enfant par un père homosexuel. C’est une question qui était vraiment dans l’air du temps, qui pouvait faire venir en salles un public pas forcément cinéphile à la base. Mais les 3 heures ont vraiment fait peur aux gens. Heureusement, le bouche à oreille était très bon, donc on s’est rattrapé avec le DVD et cela a créé une vraie attente pour le second film de Patrick.
Quels ont été vos plus grandes réussites commerciales ? Avez-vous eu des déceptions et si oui lesquelles ?
Récemment, avec Les Secrets des autres, le 2e film de Patrick Wang, nous avons eu une très belle surprise en dépassant les 23 000 entrées. Il faut remonter quelques années avant pour avoir d’autres réussites : Cabeza de Vaca de Nicolas Echevarria, The Saddest Music in the World de Guy Maddin, Les Mutants de l’Espace de Bill Plympton. La palme revenant aux Habitants d’Alex van Warmerdam, 1er film ED !
Pour les déceptions, je dirais que la sortie d’ Ulysse, souviens-toi ! de Guy Maddin a été assez difficile. Ce film est très singulier, et qui d’un premier abord dénote dans la filmographie de Maddin. Nous avons vécu avec intensément pendant plusieurs mois. Nous avons beaucoup réfléchi à comment il fallait en parler, comment on pouvait transmettre ce que nous avions ressenti avec ce film qui est un des plus personnels et intimes de Guy. Par exemple, nous nous sommes arrangés avec le mk2 Beaubourg pour avoir 4 minutes de présentation avant chaque séance de 20h tous les jours pendant 2 semaines, pour tenter de donner des clés aux gens afin qu’ils rentrent dans le film. Et finalement, ça n’a pas fonctionné. On avait mis une telle énergie et tant d’émotion dans cette sortie que ça a été assez dur de constater que ça n’avait pas pris.
Quel est l'enjeu pour vous d'un salon comme celui de l'édition DVD indépendante auquel vous participez ?
En tant que distributeur de films en salles et en tant qu’éditeurs DVD, nous sommes très rarement en contact avec le public. C’est assez frustrant, surtout quand vous essayez de faire découvrir aux autres des films qui vous tiennent beaucoup à cœur. On essaye donc un maximum d’aller à la rencontre des gens, soit en présentant nous-mêmes les films en salles, soit en participant à des salons tels que celui de l'édition DVD indépendante au cinéma la Clef. C’est aussi un moyen de mutualiser nos forces avec les autres éditeurs indépendants. Quel que soit ce que vous défendez, vous avez toujours intérêt à vous unir avec ceux qui défendent la même chose. Participer au salon, c’est donc montrer que nous sommes plusieurs à mener un combat commun : faire vivre la diversité culturelle, la vraie, celle qui peut ouvrir l’esprit des gens, montrer qu’elle existe même si elle est moins médiatisée, et qu’en plus elle est intéressante !
Pouvez-vous nous parler du pari opéré sur La Chambre interdite, qui sera diffusé au cinéma le même jour que Star Wars ?
Pour être très honnêtes, nous n’avions même pas réalisé au départ que nous avions choisi la même date de sortie que Star Wars. Nous avions l’accord des salles parisiennes pour le 16 décembre et c’était ce qui nous importait. Évidemment, après coup, on s’est posé la question. On se disait que c’était un blockbuster qui n’avait rien à voir avec La Chambre interdite, qu’on montrait quelque chose de tellement différent qu’on ne serait pas en concurrence. Et en même temps, il faut bien avouer que tout le monde a envie de voir Star Wars, même le public qui a aussi envie de voir le nouveau film de Guy Maddin (lire notre entretien). Au final, c’est important qu’il y ait d’autres propositions cette semaine-là. On ne peut pas se dire “il y a Star Wars qui sort, le monde s’arrête”. Il y aura toujours des gens qui n’auront pas envie de se ruer dans des salles blindées pour voir le film dont on parle depuis plus d’un an. Et pour nous, La Chambre interdite est vraiment un film de Noël, un conte pour adultes, une féérie ludique et magique. Alors, voilà, on espère que la Force sera avec nous !
Outre La Chambre interdite, pouvez-vous nous dire quelques mots de vos prochaines sorties dvd et/ou cinéma ?
Nous allons sortir au mois de mars le 2e film de Laurence Thrush, dont nous avions sorti précédemment “De l’autre côté de la porte”. Entre documentaire et fiction, Pursuit of Loneliness (qui aura probablement un titre français pour la sortie) raconte comment dans les grandes villes occidentales, on peut être finalement très seul alors même qu’on vit entouré de milliers, voire de million de gens. Une personne peut s’éteindre sans que qui que ce soit ne s’en rende compte, parce qu’on vit les uns à côté des autres, mais chacun dans sa bulle. Aux États-Unis, il existe tout un système public d’assistants sociaux qui partent à la recherche d’une éventuelle famille pour ces gens qui meurent seuls. Laurence Thrush sait montrer des situations relativement dramatiques sans pathos. Il a une sensibilité hors du commun pour être à la fois dans l’empathie et le respect le plus total.
Puis, nous sortirons Upstream Color de Shane Carruth, dont nous avions déjà sorti Primer. C’est un film de science fiction dans lequel des hommes et de femmes se voient dépossédés de leur volonté propre et manipulés. Un film d’atmosphère envoûtant, mystérieux, qui penche vers le thriller, mais avec aussi une histoire d’amour tâtonnante.
Et nous allons sortir en DVD 10 titres de notre catalogue encore inédits sur ce support : Le Labyrinthe des Rêves de Sogo Ishii, Dead but not buried de Phil Mulloy, Adieu Falkenberg de Jesper Ganslandt, Swandown et Louyre, notre vie tranquille d’Andrew Kötting... Bref, une année 2016 qui devrait être chouette !
Entretien réalisé le 3 décembre 2015. Un grand merci à Isabelle Buron.
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En savoir plus
Le Salon de l’Édition DVD Indépendante a lieu les 5 et 6 décembre 2015 de 14h à 20h au cinéma La Clef (Paris – Métro Censier-Daubenton). Entrée libre et gratuite. Toutes les infos en cliquant ici.