Rencontre avec Oliver Stone, Salma Hayek et John Travolta

Rencontre avec Oliver Stone, Salma Hayek et John Travolta

Oliver Stone était à Paris le 14 septembre accompagné de ses acteurs Salma Hayek et John Travolta, pour rencontrer la presse et nous parler de son nouveau film, Savages. Si le film est décevant, les propos de Stone, eux, ne le sont jamais…

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FilmDeCulte : Le film s’appelle Savages. Quelle est votre définition de ce mot ? ?

Salma Hayek: Je ne suis pas un dictionnaire. C’est un mot qui m’inspire des sentiments partagés. J’en adore une partie, et l’autre me fait peur. J’aime la notion de « non-domestiqué ». En tant que rebelle, cette idée de liberté, d’insoumission me parle. Mais ça signifie aussi ne pas avoir de limites morales, de compréhension pour l’autre. Notre évolution, à bien des égards, nous a fait devenir des sauvages.

John Travolta: Une réaction animale, inhumaine, en voilà la définition simple.

Oliver Stone: Si chacun répond à chaque question, on va jamais finir. Moi j’ai rien à dire, car Blake Lively le dit à la fin du film : c’est un retour à la pureté. C’est un titre que j’aime beaucoup car, un, c’est le titre du livre, et deux, j’ai fait un film qui s’appelle Salvador, alors pourquoi pas en faire un qui s’appelle Savages ? J’aime bien les « S ». Mon nom c’est Stone. (rires)

FdC : Tous vos films ont un point de vue politique assez tranché. Parlez-nous de celui de Savages.

OS: La guerre contre la drogue dure depuis quarante-deux ans. Elle a été déclarée sous Nixon et c’est une farce. La drogue est aujourd’hui plus répandue, moins chère, et de meilleure qualité qu’auparavant. En quarante-deux ans on a mis de pauvres gens en prison, surtout des afro-américains, au point d’avoir aujourd’hui le plus grand nombre de prisonniers par habitants, faisant ainsi des Etats-Unis le pays le plus oppressif au monde. On a aussi Guantanamo mais on en parlera une autre fois (sourire). On a créé une agence à cinquante milliards de dollars, la DEA (NDLR : Agence de lutte contre la drogue), mais c’est une guerre sans espoir, comme celle en Afghanistan, une guerre ingagnable car il y a trop d’argent en jeu, et trop de pression : de la part des gardiens de prison, du système carcéral, de la police, du Congrès… Je vois cette guerre comme une farce où évoluent les six personnages du film, et où, dans une sorte de jeu du chat et de la souris, chacun révèle sa face cachée. Aussi bien Salma, que John, ou Benicio Del Toro.

FdC : Salma, quel a été le challenge pour vous en incarnant ce personnage froid, cruel, mais également doté d’un fort instinct maternel ?

SH: C’est ça qui le rendait excitant. Ce n’est pas une méchante de cartoon. Le processus de découverte avec Oliver était tellement intéressant : ça commençait d’une manière, et puis on découvrait les petits détails, au fur à mesure des deux semaines de préparation avant le tournage. C’est le rêve d’un acteur : on était tous ensemble, et Oliver avait des activités pour nous faire découvrir chaque personnage. Un voyage incroyable.

FdC : O, le personnage de Blake Lively a une vision très romantique de la vie, en opposition à celle d’Elena, le personnage de Salma Hayek. D’où vient cette vision ? De sa vie baignée dans la marijuana ?

(Ce paragraphe contient des révélations sur la fin du film)

OS: La fin était dans le livre de Don Winslow, elle est en effet très romantique. Il faut savoir que ce livre est une fantaisie, sachant que les cartels ne s’en sont pas encore pris à des cultivateurs indépendants. Nous avons donc voulu raconter cette histoire imaginaire à travers le regard de O, une sorte de narrateur non-fiable. Et comme elle le dit, « la vérité a sa propre logique ». J’avoue que j’avais du mal à croire que deux jeunes gens aillent sacrifier leur vie pour un troisième. D’où cette conclusion plus cynique où on a fait revenir le personnage de Dennis (John Travolta), et cet épilogue en Indonésie, où le trio repense sa vie. Mais je pense qu’ils n’en ont plus pour longtemps ensemble, qu’ils ne vont pas avoir un destin à la Jules et Jim.

FdC : Comment avez-vous travaillé la musique avec Adam Peters, le compositeur ?

OS: C’est un jeune Anglais, il avait travaillé avec Hans Zimmer, et il a travaillé avec nous sur South of the Border et sur The Untold History of the United States, une série documentaire de dix heures. Pour Savages, je ne connaissais pas le style du film en amont. J’ai fait des films comme Tueurs nés sans musicien, des films comme L’Enfer du dimanche avec quatre compositeurs, donc je change de règle à chaque fois. Sur ce film, je ne savais pas. On a commencé avec des chansons mexicaines, du rap mexicain, du Brahms, et Adam a fait quatre thèmes pour relier tout ça. La musique est éclectique et je l’aime beaucoup.

FdC : John, parlez-nous du personnage de Dennis.

JT: C’est un personnage complexe, double. Je n’ai commencé à le saisir que lorsqu’Oliver m’a fait passer une semaine avec un véritable agent de la DEA. J’ai pris des notes sur son attitude, ses motivations. C’était un homme très triste car il devait passer son temps à s’infiltrer, à en quelque sorte « tomber amoureux » des gens, pour ensuite les trahir. Qu’est-ce que ça représente de devoir jouer un rôle quel que soit le contexte ? Avec les jeunes il se la joue cool, avant de les trahir. Avec le cartel il essaie de les manipuler. Dans sa famille il espère que personne ne découvre ses activités. Et dans le boulot, il est très conservateur, très pro. Quelle vie ! Il danse au bord de la falaise. S’il dit un mot de travers, il est mort. Je n’ai pas besoin d’aimer quelqu’un pour l’interpréter, mais j’ai besoin de prendre du plaisir à l’interpréter. J’ai donc adoré jouer Dennis, même si je ne traînerais pas avec lui.

FdC : Il y a une vingtaine d’années c’était la violence qui choquait l’Amérique dans Tueurs nés. Aujourd’hui, n’est-ce pas le triangle amoureux de Savages qui pourrait la choquer ?

OS: Je ne fais pas les films pour choquer. Je cherche une vérité, fût-elle non orthodoxe. C’est vrai que les Américains ne voient pas souvent ça, même s’ils l’ont vu par exemple dans Butch Cassidy et le Kid. Tout ce que je veux c’est raconter une histoire intéressante.

FdC : Vous aviez par le passé un projet sur le général Noriega, qui ne s’est pas fait. Avez-vous recyclé une partie de votre frustration dans Savages ?

OS: On voulait faire du film sur Noriega une comédie, une satire, mais c’était très difficile. C’est une histoire géniale : il était un outil de la CIA, il nous a aidés contre le Nicaragua, tout en faisant du trafic de drogue. Le genre de personnage qu’on adorerait réussir à saisir. Je suis allé le voir en prison à Miami. Je ne sais pas s’il sortira un jour… Mais vous avez mis le doigt sur le problème : la guerre contre la drogue. Chaque fois qu’on veut faire coopérer un pays d’Amérique latine, on y envoie des espions, des militaires. La lutte contre la drogue devient un moyen d’exercer un contrôle sur ces pays. C’est très dangereux. Noriega était un méchant, mais le vrai problème c’est la guerre contre la drogue, et peut-être bien que je devrais faire un nouveau film là-dessus…

Propos recueillis par Liam Engle, le 14 septembre 2012

par Liam Engle

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