L'année ciné 2011 par ceux qui l'ont faite

L'année ciné 2011 par ceux qui l'ont faite

Seize réalisateurs, acteurs ou encore directeurs de festivals qui se sont illustrés en 2011 ont évoqué, pour nous, leurs coups de cœur cinéphiles de cette année qui s'achève. Découvrez-les ci-dessous!

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Aude Hesbert, déléguée générale et directrice artistique du Festival Paris Cinéma

Comment répondre à cette question lorsque l’on est gouverné avant tout par un amour des films éclectique et immodéré et que l’on aime justement les protéger des comparaisons qui excluent? Ce sera donc avec cet esprit cinéphile bariolé que je répondrais à la question en choisissant quelques films de la dernière édition du Festival Paris Cinéma portés par des femmes qui ont su faire valser avec une immense liberté et une énergie créatrice folle les règles d’un cinéma « politiquement-correct ». A commencer par La Guerre est déclarée de Valérie Donzelli, qui a raflé tous les Prix à Paris Cinéma en 2011 et Polisse de Maïwen, présenté en ouverture et qui a su donner le ton trépidant de cette dernière édition. Et puis un coup de cœur, une révélation, Attenberg signé par la jeune réalisatrice Athina Rachel Tsangari, un film à la mise en scène d’une modernité brûlante et d’une sensibilité féminine inédite, qui témoigne de la vitalité et du renouveau de la jeune scène grecque. A côté de ce film d’auteur, monument de pensée inventé pour affronter les tabous de la sexualité et de la mort, je n’oublierai pas un film d’un tout autre acabit, mais tout aussi novateur et jouissif, Mes meilleures amies, une comédie américaine 100% féminine, hilarante mais teintée aussi d’une profonde mélancolie, menée tambour battant par la talentueuse scénariste et actrice Kristen Wiig.

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Urszula Antoniak, réalisatrice de Code Blue (Quinzaine des réalisateurs)

Drive est aussi over the top que les mélos hollywoodiens de Douglas Sirk, et c’est ce coté artificiel qui fait que le film se trouve au croisement parfait entre le camp, l’art et le film culte. C'est justement son regard sur le classicisme qui le rend aussi moderne et original. De Hollywood (Vanishing Point) à l’Europe (Le Samouraï) en passant par l’Asie (A Bittersweet Life de Kim Jee-Won), Drive est un peu le véhicule parfait, l’assemblage des meilleurs pièces vintage. Et Refn, qui ne différencie pas l’art et la culture populaire, nous fait rouler à cent à l'heure sans le moindre temps mort. Jamais auparavant le « cinéma d'auteur » auréolé du label « Cannes » n’avait été si purement divertissant et en même temps totalement vide.

Tout comme Canine, Alps de Lanthimos est un ahurissant distributeur automatique d’idées, à l’efficacité redoutable. L’idée du film (fin prêt pour son remake hollywoodien), trouve ses racines dans la fascination de Lanthimos pour les jeux de rôles, le théâtre grec antique et ses performances masquées. Aucun autre film ne s'est autant rapproché du surréalisme Buñuelien. Alps nous parle de notre société peuplée de mauvais acteurs, de leurs discours et leurs petites histoires tout droit sortis d’une mauvaise série télé, mais c’est aussi bien plus. Alps possède un vrai mystère. Et comme le disait Buñuel : dévoiler un mystère c’est comme violer un enfant.

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Eric Khoo, réalisateur de Tatsumi (Un Certain Regard, en salles le 1er février 2012)

J'ai beaucoup aimé Le Havre et La Planète des singes: les origines!

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Marco Dutra, réalisateur de Travailler fatigue (Un Certain Regard, en salles le 29 février 2012)

Je dirais que 2011 a été une bonne année en ce qui concerne les films de genre à visée commercial. Si je faisais ma liste des meilleurs films de l’année, Scream 4 et Paranormal Activity 3 seraient tout en haut. Ce sont tous les deux des suites mais ils sont restés des frais et personnels. Le premier vient d’un vieux « maître » et le deuxième vient de deux petits nouveaux très prometteurs (j’avais beaucoup aimé leur Catfish), et tous les deux ont très bien marché. J’ai aussi beaucoup aimé des films plus singuliers, de réalisateurs que j’aime et qui tendent justement vers le genre : Hara-Kiri de Takashi Miike, La Piel que habito de Almodovar et Twixt de Coppola. Il y a encore d’autres films que j’ai adorés (The Tree of Life, Carnage, Dark Horse, Super 8), mais les cinq premiers que j’ai cités sont ceux que j’amènerais sur une île déserte.

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Juliana Rojas, réalisatrice de Travailler fatigue (Un Certain Regard, en salles le 29 février 2012)

Mes films préférés de l’année sont Il était une fois en Anatolie et un documentaire brésilien intitulé As Canções, réalisé par Eduardo Coutinho, que je considère comme l’un de réalisateurs brésiliens les plus importants. Ces deux films m’ont non seulement beaucoup touchée, mais m’ont accompagnée tout au long de l’année.

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Aditya Assarat, réalisateur de Hi-So (Festival de Berlin section Panorama, Festival Paris Cinéma)

Mon film préféré en 2011 est La Planète des singes: les origines.

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Damien Dupont, co-réalisateur de Jean Rollin, le rêveur égaré (L'Etrange Festival)

Melancholia: œuvre magistrale sur l’acceptation de la mort, la sienne et celle de nos proches. Lars Von Trier lâche les brides de sa dépression et livre l’aboutissement de ses recherches formelles et narratives. Loin de jouer le petit malin (comme de trop nombreuses fois), il se libère et livre un film immense. Version athée de The Tree of Life ? Non, au même titre que Malick, Von Trier croit en une puissance supérieure. Sauf que cette dernière n’est pas que bonté et décide de détruire l’une de ses créations. Et surtout, contrairement au film américain, aucune réponse à la question essentielle. Que se passe-t-il après ?

Winter's Bone: En ces temps d’infantilisme et de fausse subversion du cinéma américain, Winster’s Bone redonne espoir. Malgré le sujet, Debra Granik ne donne pas de leçon de vie. L’adolescence est un parcours initiatique amenant à l’âge adulte. Ici, pas de fun ni de cool. Non, plutôt de la violence et de l’obscurité. Pas de doute, la société est injuste et la vie d’adulte sera une épreuve. L’American Dream n’existe pas, les pauvres le savent depuis longtemps.

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Marie Rivière, actrice, réalisatrice de En compagnie d'Eric Rohmer

Les deux films que je retiens sont: Ici on noie les algériens de Yasmina Adi et L'Exercice de l'état de Pierre Schoeller. Pour moi, ce sont deux films nécessaires (même s'il y en a eu d'autres cette année, que je n'ai malheureusement pas vus), et des films engagés, qui défendent des idées, et des idéaux; qui sont au service de l'humanité. Ce sont des films forts et je trouve qu'on en a vraiment besoin. J'ai également trouvé L'Eté de Giacomo très beau : il y a de magnifiques moments quand ce qu'on entend et ce qu'on voit sur les visages ou dans les paysages se conjuguent pour faire un merveilleux moment de grâce.

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Naoki Hashimoto, réalisateur de Birth Right (Festival Deauville Asia)

Mon film préféré cette année est Mao's Last Dancer, de Bruce Beresford.

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Markus Schleinzer, réalisateur de Michael (Festival de Cannes, compétition)

Mes films préférés cette années ont été La Dernière piste de Kelly Reichardt et Play de Ruben Ostlund. Ce sont deux cinéastes dont j’admire énormément le travail, car tous leurs films sont éminemment personnels, tellement proches d’eux-mêmes qu’ils en deviennent uniques. On ne retrouve pas dans ces films le désir anxieux de plaire à une majorité de toute façon indéfinissable, et c’est un vrai soulagement face à toute la guimauve qui englue parfois nos émotions et nos cerveaux.

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Paula Markovitch, réalisatrice de The Prize (Festival Paris Cinéma)

Mon film préféré de l’année est sans conteste Arirang de Kim Ki Duk. Une confession sincère, puissante et intense, ainsi qu’un autoportrait courageux. Jamais auparavant un film ne m’avait autant évoqué la poésie de Rimbaud ou Paul Nizan. C’est novateur et risqué, tout en restant extrêmement simple. Il y a d’autres films qui m’ont plu cette année, mais Arirang reste loin devant. Le film m’a touchée en plein cœur.

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Justin Kurzel, réalisateur des Crimes de Snowtown (Semaine de la Critique)

Les films que j’ai le plus aimés cette année sont This Must be the Place, Shame et Drive.

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Daniel Henshall, acteur des Crimes de Snowtown (Semaine de la Critique)

J’ai surtout profité de cette année pour rattraper mon retard en regardant des vieux films, mais parmi ceux sortis cette année, je dirais que mes préférés sont Drive et We Need to Talk About Kevin. Je n’ai pas encore pu voir Shame mais j’en ai très envie. Puis-je également citer le documentaire Le Projet Nim ?

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Mark Meily, réalisateur de Donor (Festival Deauville Asia)

The Journals of Musan. S’il y a bien un adjectif qui corresponde à ce film, c’est « courageux ». Park Jung-Bum y brille à la fois en tant que réalisateur et acteur, alors que c’est son tout premier film !

Animal Kingdom. J’étais persuadé que tous les films australiens étaient légers et divertissants, mais Animal Kingdom est venu remettre les pendules à l’heure! C’est un film d’une force incroyable.

The Woman From The Septic Tank. Un film philippin en forme de pied de nez à tous les réalisateurs pédants, ceux qui sont prêts se prostituer pour être sélectionné en festivals et tous ceux qui ne savent faire que du chantage affectif. C’est un film qui divise, mais pour moi il est à la fois provocateur et très drôle.

J.Edgar. Eastwood est le seul à savoir aussi bien conjuguer récit épique et budget réduit.

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Pierre Ricadat, programmateur du Festival Franco-Coréen du film

Pour moi l'année 2011 a été marquée par deux grands films "cosmiques" présentés à Cannes : The Tree of Life de Terrence Malick et Melancholia de Lars Von Trier. Deux films bien différents mais qui se répondent, à la mise en scène stupéfiante, pleins d'audace et qui marquent profondément. Bien moins connu, le film coréen Café Noir (sorti en Corée le 30 décembre 2010 et projeté en France pour la première fois à l'occasion du FFCF 2011), réalisé par le critique Jung Sung-il. Un film fou de 3h20 bourré de références et d'idées qui se révèle d'une richesse passionnante. Pour terminer, la confirmation avec Drive que Nicolas Winding Refn n'a pas fini de nous emballer. Bref, en 2011, j'ai aimé les films de prétentieux.

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Frédéric Sojcher, réalisateur de HH, Hitler à Hollywood et auteur du Manifeste du cinéaste

2011: raisons de craindre et d’espérer. Je ne retiendrais que deux films pour 2011, même s’il y en a beaucoup d’autres que j’ai pris plaisir à voir et qu’il y a une effervescence de la création cinématographique à la fois enthousiasmante et terrifiante.

Pater est un film pour moi en tous points exceptionnels. Alain Cavalier arrive à la fois à insuffler une invention narrative, à asseoir une invention technique, à poser un regard d’amour sur un acteur (Vincent Lindon) et à être un film politique (de manière explicite, parce que c’est le sujet de Pater, la relation entre un Président et son Premier Ministre, mais de manière implicite, aussi, car c’est une nouvelle manière de concevoir le cinéma et le rapport entre mise en scène, acteurs et spectateurs). S’il m’apparaît incompréhensible que Pater n’ait obtenu aucun prix au Festival de Cannes, au moins le film a-t-il pu être largement distribué, salué par la critique et rencontré son public. Cela grâce aux notoriétés de Cavalier et de Lindon, à l’adoubement du Festival de Cannes (plus que jamais un « label de qualité ») et à la force de frappe du distributeur (Pathé)… autant sinon davantage qu’à la qualité du film lui-même.

A la différence de Pater, le film Et si…, de Serge Lalou (plus connu comme producteur des Films d’ici que comme cinéaste), n’a pas connu de reconnaissance festivalière et n’a pas trouvé de distributeur. C’est pourtant un film d’une invention inouïe sur le plan de la narration et de l’effacement des frontières entre fiction et documentaire (point commun avec Pater). Un acteur, reconnu par ses paires, mais moins médiatisé que Lindon, Bruno Putzulu, y tient l’un des rôles principaux au côté du père de Serge Lalou, dans son propre « rôle ». Pater, Et si… parlent de transmission et de recherche d’un monde nouveau.

Les questions que pose le cinéma, les narrations sont porteuses de sens et éclairent l’époque contemporaine à leur réalisation. Le problème, aujourd’hui, est l’impossibilité pour certaines œuvres singulières d’atteindre leur public. De très nombreux films (pourtant réussis) ne sortent pas en salles. De plus nombreux films encore sont « sacrifiés » par une sortie trop petite (sans promotion conséquente, avec peu de copies) rendant quasiment impossible une rencontre avec les spectateurs du film, ceux qui auraient pris plaisir à le voir, à être intéressés pas ses émotions et sa narration. Si comme le préconisent un nombre croissant d’opérateurs audiovisuels il faudrait réduire le nombre de sorties, ce serait couper encore davantage les films non diffusés en salles d’une médiatisation et d’une reconnaissance, fussent-elles symboliques. A l’instar de Cavalier et Pathé, puissent les associations entre cinéastes défendant des projets innovants et en phase avec leur temps trouver de « grands distributeurs » et de « grands producteurs », pour les accompagner et permettre au cinéma de continuer à être un art populaire. L’économie et l’art : ensemble.

Propos recueillis par Nicolas Bardot & Gregory Coutaut
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Nos autres interviews de l'année

Jang Cheol-Soo, réalisateur de Bedevilled (Grand prix du Festival de Gérardmer)

Sivaroj Kongsakul, réalisateur de Eternity (Grand prix au Festival Deauville Asia)

Hong Sang-Soo, réalisateur de HaHaHa, Oki's Movie et Le Jour où il arrive (Un Certain Regard 2011, en salles le 11 avril 2012)

Ruben Ostlund, réalisateur de Play (Quinzaine des réalisateurs)

Lisa Aschan, réalisatrice de Voltiges (Grand prix du Festival de Tribeca, Festival Paris Cinéma)

Béatrice Romand, actrice

Valérie Massadian, réalisatrice de Nana (Léopard d'or du meilleur premier film au Festival de Locarno, en salles le 11 avril 2012)

Alessandro Comodin, réalisateur de L'Eté de Giacomo (Léopard d'or section Cinéaste du présent au Festival de Locarno)

Milagros Mumenthaler, réalisatrice de Abrir puertas y ventanas (Léopard d'or au Festival de Locarno, en salles en 2012)

Conférence de presse Kim Jee-Woon, réalisateur de J'ai rencontré le diable (prix de la critique et du public au Festival de Gérardmer)

Un très grand merci à tous ceux qui ont accepté de répondre à nos questions durant cette année 2011

par Nicolas Bardot

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