Entretien avec Zhanna Issabayeva
La réalisatrice Zhanna Issabayeva, venue du Kazakhstan, a remporté le Grand Prix à Deauville Asia avec Naguima. Un film dur et beau sur le destin d'une jeune orpheline et qui sort en France ce mercredi 26 novembre. Nous avons rencontré la cinéaste.
Quel a été le point de départ de Naguima ? Qu’est-ce qui vous a donné envie de raconter cette histoire ?
J’ai commencé à faire ce film après lu dans un article dans le journal sur les enfants qui sortent de l’orphelinat et qui ont le droit de connaitre l’adresse de leurs parents biologiques, d’avoir des informations sur eux. Il n’y a pas de secret comme il peut y en avoir ailleurs. Certains enfants partent à la recherche de leurs parents et même si ceux-ci sont, par exemple, emprisonnés, l’enfant peut avoir un dossier expliquant dans quelle prison ils sont, pourquoi ils sont en prison. J’ai appris que beaucoup d’enfants cherchent leurs parents biologiques et j’ai eu envie de parler de ça. Quand j’ai creusé le sujet, je n’ai pas trouvé de statistiques précises mais ces enfants sont nombreux.
Le propos de Naguima est très dur, mais votre film est visuellement très beau. Comment avez-vous abordé la mise en scène du film pour que celle-ci soit puissante sans esthétiser la misère ?
A vrai dire je n’ai pas cherché à faire un beau film. Je n’ai pas cherché exprès de beaux paysages. Le film résulte d’une démarche assez naturelle, sans chercher en effet à embellir la misère.
Quelles questions se pose t-on lorsqu’on écrit un scénario avec aussi peu d’espoir ? Quelles sont les limites que l’on s’impose pour ne pas tomber dans le pathos ?
Je ne voulais pas trop dramatiser et appuyer sur les souffrances ressenties par les personnages. Je suis restée dans un même crédo émotionnel pendant tout le film, où les émotions sont comme séchées par le soleil. Sans couleurs. Je ne voulais pas que le film soit trop expressif émotionnellement. C’est ce qu'on a fait par exemple sur les scènes où les jeunes filles se plaignent de leur vie, ou la scène dans laquelle l’héroïne vient voir le vendeur pour lui demander « est-ce que tu m’aimes ? ». Les actrices voulaient pleurer, montrer leurs émotions. Je leur ai dit non. Je ne voulais pas de scènes échappées d’une série télé mélodramatique.
Cette scène dont vous venez de parler où Nagima demande au jeune homme « dis-moi que tu m’aimes » est une scène pivot et importante du film. C’est jusque-là un personnage qui ne s’ouvre pas. Comment avez-vous abordé cette scène en particulier ?
Je n’ai pas abordé la mise en scène du film scène par scène, en tout cas pas différemment d’une scène à l’autre. Mais ce qui est essentiel, c’est d’amener l’acteur dans les conditions émotionnelles réclamées par la scène. Ça, ça demande beaucoup de travail, notamment avec les acteurs.
Comment avez-vous choisi votre actrice pour ce rôle pas évident ?
J’ai d’abord cherché de jeunes acteurs mais j’ai vu trop de jeunes gens sûrs d’eux, parfois arrogants. J’ai pris alors la décision d’aller chercher ces jeunes filles directement dans un orphelinat. Les deux filles que vous voyez, Nagima et Anya, viennent d’un orphelinat.
Vous êtes également productrice de Naguima. Comment produit-on un tel film au Kazakhstan ?
Trouver des financements pour un film d’auteur au Kazakhstan, ce n’est pas facile. Même en allant voir les structures du gouvernement, ce sont des films qui ne reçoivent pas de financement. A vrai dire je ne suis même pas officiellement productrice : j’ai simplement tout payé pour pouvoir faire le film.
On a vu récemment de plus en plus de films venus du Kazakhstan dans les festivals internationaux. Je pense à Tulpan de Sergei Dvortsevoy, Leçons d’harmonie d'Emir Baigazin ou à votre film. Ce sont à chaque fois des cinéastes qui ont commencé à tourner leurs premières fictions dans les années 2000. Avez-vous le sentiment qu’il y a quelque chose de neuf qui se passe au Kazakhstan ?
Je n’ai pas l’impression qu’il y ait tant de films que ça. Tulpan est une production kazakhe mais son réalisateur est russe. Au final il n’y a pas tant de films kazakhs qui sont vus en Europe.
Le film a-t-il été vu au Kazakhstan ? Quelles ont été les réactions ?
Il n'a pas encore été vu, on travaille sur une sortie pour le printemps.
Savez-vous déjà s’il y aura une sortie française ? (le film sort finalement le 26 novembre 2014, ndlr)
J’aimerais beaucoup trouver un distributeur français, j’y travaille. Je pense que le film sera mieux compris ici, ou en Allemagne (où le film a été présenté lors de la Berlinale, ndlr) que dans mon propre pays.
Et pourquoi, selon vous ?
Naguima est peut-être plus proche de la façon dont on fait des films ici. Je pense que le public français ou le public allemand sont cultivés, connaissent le cinéma d’auteur. Ils comprendront mieux et évalueront mieux un film comme celui-ci. Ils ont plus de culture cinématographique. On voit plus de films asiatiques en France ou en Allemagne, ce n’est pas pour rien.
Avez-vous de nouveaux projets ?
Oui je tourne un nouveau film, que j’essaie de terminer bientôt. Cet automne j’espère.
Entretien réalisé le 7 mars 2014. Un grand merci à Céline Petit et Clément Rébillat.
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