Entretien avec Yulene Olaizola
Remarquée avec son précédent long métrage, Paraísos artificiales, la Mexicaine Yulene Olaizola présente à Cannes son nouveau film, intitulé Fogo. Rencontre avec la jeune réalisatrice...
FilmDeCulte : Pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs ?
Yulene Olaizola: J’ai 29 ans, je suis née et j’ai grandi dans le sud de Mexico. J’ai toujours eu le sentiment que le sud de la ville était comme une petite province placée au milieu de la métropole. On est à proximité des montagnes, la maison de mes parents est dans les bois, et quelque part on se sent éloigné de la jungle urbaine. Sinon j’ai trois animaux : mon petit chien Chucho, mon adorable chat Meliès et mon autre chat Pedrito, qui s’est enfui. J’espère qu’il reviendra un jour.
FdC : Aviez-vous en tête des références picturales particulières, cinématographiques ou pas, pour filmer la nature dans Paraísos artificiales, votre précédent long métrage?
YO: Le cinéma capte et reproduit le temps, avant même une éventuelle dramaturgie. Même l’expression « images en mouvement » n’englobe pas entièrement ce concept de temps qui passe : le rythme et le mouvement font partie du temps, mais le temps lui-même reste une chose mystérieuse. Le temps devient concret et on le remarque quand il y a beaucoup de mouvements ou d’action. Mais du coup, comment perçoit-on le temps lorsqu’il n’y a pas de mouvement à l’écran? C’est ça qui m’a toujours fascinée dans la nature : quand on observe une plante, on a l’impression que le temps ne passe pas, mais si on filme la même plante à l’intérieur d’une séquence de cinéma, on acquiert immédiatement ce sentiment du durée.
Dans la nature, le temps prend son temps si l’on peut dire, c’est une perception différente de celle à laquelle les êtres humains sont habitués. Le cinéma nous aide à découvrir cela. Je pense toujours à Solaris et à Stalker, à beaucoup d’autres films aussi comme Hors Satan qui a également sa propre façon de nous y faire parvenir. Le pouvoir de la nature peut être représenté de façon très forte par le cinéma.
FdC : Pouvez-vous nous parler de votre nouveau film, Fogo ?
YO: C’est une fiction qui se déroule sur l’île de Fogo, au nord-est du Canada, jouée par des gens qui ont passé toute leur vie là-bas, des acteurs non-professionnels. Je les ai rencontrés durant un programme de résidence auquel j’ai participé, soutenu par la Fogo Island Arts Corporation. Le film a été tourné par deux personnes : moi-même et mon chef opérateur Diego Garcia, qui est mexicain.
FdC : Comment avez-vous réagi à l’annonce de votre sélection à Cannes ?
YO: Avec joie évidemment.
FdC : Nous avons eu l’occasion, notamment à Cannes l’an passé, de voir des films mexicains très différents de Paraísos artificiales, tels que Miss Bala ou Dias de Gracia. Quel regard portez-vous sur la production cinématographique mexicaine ?
YO: Le Mexique est un pays de cinéma. Il y aura toujours des cinéastes ici. Néanmoins la diversité du cinéma mexicain ne touche pas vraiment le public mexicain. L’argent est la seule chose qui compte et ce n’est pas bien. On doit changer cela.
FdC : Ces dernières années, on a vu apparaître beaucoup de nouveaux cinéastes mexicains sur la scène internationale. Très peu d’entre eux étaient des femmes. Est-ce que, de votre point de vue, il est plus difficile de réaliser un film au Mexique quand on est une femme ?
YO: Le Mexique, comme beaucoup d’autres pays, a une société à l’attitude très macho. La révolution féministe du siècle dernier n’est toujours pas terminée, comme partout ailleurs j’imagine. Le Mexique a encore beaucoup à faire. Je pense que le monde a entendu parler du Mexique et du génocide fait aux femmes ces vingt dernières années, et qui continue encore. Il y a davantage de tolérance dans le milieu artistique mais il reste des progrès à faire. Je me bats toujours pour faire mes films, je me bats beaucoup, mais pas forcément parce que je suis une femme, principalement parce que je veux travailler de façon indépendante. Ce n’est pas facile de faire les choses comme on le souhaite, que l’on soit un homme ou une femme. C’est la raison pour laquelle je travaille avec mes collaborateurs : peu importe leur sexe, ce sont avant tout des gens qui comprennent la façon dont je veux faire du cinéma.
FdC : Avez-vous déjà un nouveau projet en tête ?
YO: Je co-réalise avec Ruben Imaz un film basé sur une histoire incroyable qui a eu lieu pendant la conquête du Mexique. Une histoire très simple mais aussi paradigmatique. En 1519, le Capitaine Diego de Ordaz a trouvé beaucoup de soufre au sommet du volcan Popocatépetl, et ce soufre a plus tard été utilisé par Cortez pour fabriquer la poudre à canon qui a servi pendant le siège final de Mexico-Tenochtitlan.
Entretien réalisé le 11 mai 2012