Entretien avec Yang Chao
Nouveau chapitre dans notre série d'entretiens inédits avec les découvertes et cinéastes remarquables de l'année. Primé à la Berlinale, le Chinois Yang Chao signe avec Crosscurrent une romance mystique et majestueuse sur le fleuve Yangtze qui emprunte à la peinture chinoise classique comme à la création chinoise la plus contemporaine. C'est à n'en pas douter l'un des chocs esthétiques de l'année. En attendant peut-être une sortie française, le réalisateur nous présente son long métrage.
Crosscurrent a mis 10 ans à être produit. A t-il été particulièrement difficile à financer ?
La partie la plus difficile, c'était de composer la structure du film qui épouse les lieux de tournage tout au long du fleuve Yangtze. Et puis c'est un film d'art et essai dont la priorité n'est pas de rapporter de l'argent, par conséquent trouver des investissements était dur. A vrai dire c'est même assez bizarre qu'on ait trouver de l'argent pour le film. L'idée du long métrage vient de mon amour pour ce fleuve. J'ai passé mon enfance dans une petite crique, près de ma maison, et j'ai toujours éprouvé ce désir particulier pour les grandes rivières.
Votre film est absolument sublime visuellement. Comment avez-vous collaboré avec votre directeur de la photographie, Mark Lee Ping-Bin?
Nous recherchions la même chose : nous voulions nous inspirer du style classique de peinture de paysages chinois, et ce décor pictural devait être représenté d'une manière purement orientale. J'ai dessiné un storyboard avant le tournage, tandis que Mark s'est occupé de la caméra – il excelle à obtenir l'image voulue. Quand les aléas du tournage se sont invités, il a fallu ajuster la lumière, s'adapter au courant et faire en sorte que les acteurs et l'équipe s'accordent avec cela.
Crosscurrent évoque, comme vous l'avez indiqué, la peinture chinoise classique mais votre film est aussi résolument moderne – et semble faire écho à l'art contemporain chinois. Ce lien entre l'ancien et le moderne signifie t-il quelque chose pour vous ?
Le film entier est un éloge à l'esthétique chinoise traditionnelle, tandis qu'il est beaucoup plus moderne en termes de personnages et de structure narrative. C'est une odyssée sur la rédemption de l'âme.
Un certain nombre de cinémas d'art et essai vont être ouverts en Chine par la National Arthouse Film Alliance. Avez-vous le sentiment que quelque chose est en train de changer pour le cinéma indépendant en Chine et en particulier sur sa diffusion ? Qu'en est-il de la sortie de Crosscurrent par exemple ?
Cette année est véritablement la première année que le cinéma d'art et essai attire l'attention des médias mainstream, et qu'il est entré dans les cinémas commerciaux chinois. Les choses sont sur le point de changer, je le sens. Crosscurrent n'a pas bien fonctionné en Chine, mais à vrai dire ce n'est pas le film le plus facile qui soit. Mais j'ai foi en notre public. C'est le meilleur du monde : passionné, curieux, et qui a maintenant de vraies habitudes de spectateur. Il émane de ce public un dynamisme qui pousse les réalisateurs et les financiers à satisfaire leur appétit.
Quels sont vos cinéastes favoris ? Ceux qui vous inspirent?
Beaucoup de réalisateurs m'intéressent, qu'ils viennent du cinéma d'auteur ou d'un cinéma plus commercial. Si je dois en nommer un seul, je dirais Andrei Tarkovski. C'est lui qui m'a montré jusqu'où on peut aller avec le cinéma, comment on peut se débarrasser des modèles, avoir une image qui ne soit pas sans cesse en mouvement, faire une symphonie – la beauté pour la beauté.
Entretien réalisé le 9 décembre. Un grand merci à Yiran Song.