Entretien avec Vivian Qu
Elle est la femme derrière le triomphe de Black Coal, le film de Diao Yinan lauréat de l'Ours d'or. Vivian Qu, productrice, est une figure-clef du cinéma indépendant chinois. Elle a produit le précédent film de Diao Yinan, Train de nuit, mais aussi l'ovni Longing for the Rain de Lina Yang. Qu signe avec Trap Street (en salles le 13 août) sa première réalisation. Elle nous parle de l'Ours d'or, de son rôle de productrice et de son film.
Vous avez dit en interview que le cinéma, c'était regarder, puis voir. En quoi cela s'applique à Trap Street ?
Pour moi, les meilleurs films sont ceux qui stimulent notre capacité à regarder puis à voir. C’est dans la nature-même du cinéma. Trap Street est l’histoire d’un homme à la recherche de la vérité dans une société remplie de secrets, de contradictions et de règles cachées. Ils sont un prisme qui déforme ou obscurcit le point de vue du héros. En d’autres termes, le film parle d’une vision limitée. Du coup j’ai décidé de raconter l’histoire du strict point de vue du personnage principal. La découverte progressive qu’il fait est aussi celle que fait le public. Comme le héros, le public doit constamment discerner ce qui est vrai ou important parmi tous les signes qui se présentent à lui, parfois rétrospectivement. Regarder, c’est objectif, mais voir, c’est subjectif. L’objectivité et la subjectivité, à travers l’objectif de la caméra, sont à jamais interchangeables.
Il y a différents éléments de Trap Street qui évoquent le film noir, et pourtant le film ne ressemble jamais à un film noir. Les lumières, les couleurs créent un sentiment ambivalent de paix. Comment avez-vous envisagé votre film en termes visuels ?
Mon intention première n’était pas de faire un film noir – c’est à dire, par définition, un récit stylisé, souvent mélodramatique et éloigné d’une certain façon de la réalité. Trap Street est un portrait réaliste de la société d’aujourd’hui. Comme je voulais traiter chaque scène comme une tranche de vie, je me suis retenue d’utiliser la lumière comme un moyen dramatique. Pour moi, le pouvoir de l’histoire est que toutes ces choses arrivent dans un contexte apparemment paisible, à la lumière du jour. Tout usage artificiel aurait affaibli ce pouvoir. Une chose sur laquelle nous nous sommes mis d’accord avec mon directeur de la photographie, c’est que nous n’utiliserions pas de lumière colorées. Si j’étais attachée à quelque chose, c’était avant tout à la simplicité et à la clarté. Je veux que le public voie tout… mais ne sache pas forcément si ce qu’il voit est la vérité.
Vous avez produit Train de nuit et Black Coal de Diao Yinan. Quelle a été votre implication sur ces projets ?
Mon rôle créatif sur Train de nuit a consisté à accompagner Diao Yinan sur le tournage et le montage du film. Diao à l’époque n’était pas encore tout à fait à l’aise avec un tournage non-chronologique (ce qui constitue pourtant un standard, hormis pour certains projets). La production a pris plus de temps que prévu à cause de cela. Je devais être tous les jours sur le tournage pour aider à la mise en scène. Malgré cela, Diao s’est rendu compte au montage qu’on manquait de matière, alors on a dû travailler sur une narration plus elliptique. Une manière minimaliste d’aborder ce récit, et qui a souvent été commentée par la suite dans la presse.
En ce qui concerne Black Coal, on a commencé à travailler sur l’idée originale en 2005, et après 8 ans d’écriture et de réécriture, je faisais continuellement des suggestions et critiques au sujet du script. Pour ce qui est du tournage, j’ai convaincu Diao qu’un storyboard lui ferait beaucoup de bien – une leçon apprise du tournage de Train de nuit. Et c’était le cas.
Vous avez également produit Longing for the Rain de Lina Yang qui est un film tout à fait inhabituel. Qu'est-ce qui, en tant que productrice, vous a attirée vers un projet aussi audacieux ?
L’histoire de Longing for the Rain vient en grande partie de la propre expérience de la réalisatrice, Lina Yang. La première fois qu’elle m’en a parlé, j’ai tout de suite pensé : c’est à peine croyable. Le fait que cela paraisse complètement fantastique et en même temps presque entièrement réel était très intriguant. Et il n’y a pas tant de films qui s’adressent à la conscience des femmes dans la Chine contemporaine. De plus, la réalisatrice n’avait à l’époque pas encore de vrai script, seulement un traitement d’une dizaine de pages. Le challenge de faire en sorte que cela marche est un facteur qui m’a également menée vers ce projet.
Black Coal est un gros succès surprise au box-office chinois. Ce n'était pas forcément attendu. Qu'est-ce que cela révèle selon vous ?
Beaucoup de facteurs ont joué en faveur du score réalisé au box-office par Black Coal en Chine. L’un de ces facteurs, c’était le soutien inhabituel du Film Bureau, parce que c’est un film primé qui a passé l’écueil de la censure. Un autre facteur est que le public chinois a vu le film avant tout comme un film de genre. Ce film seul ne changera peut-être pas la situation pour le cinéma d’art et essai en Chine, mais beaucoup de gens l’espèrent.
Entretien réalisé le 10 juin 2014. Un grand merci à Yann Kacou.
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