Entretien avec Vianney Lebasque et Mathieu Gompel
Un film qui réunit les soutiens à la fois de l’Avance sur recettes et d’Europacorp ne peut pas être foncièrement mauvais. C’est le cas des Petits princes, le premier long-métrage de Vianney Lebasque, un film populaire et intelligent, plaisant à regarder et respectueux du spectateur. Nous avons voulu revenir sur le film avec son réalisateur Vianney Lebasque et son co-scénariste Mathieu Gompel, dont c’est pour tous deux le premier crédit sur un long-métrage.
FilmDeCulte : Vianney, tu peux nous raconter ton parcours ?
Vianney Lebasque : J’ai 32 ans. Je faisais du sport, j’étais à fond de foot pendant mon adolescence, mais j’ai dû arrêter. J’aimais la musique et je voulais faire des clips, donc j’ai fait une école de cinéma, l’ESRA, où je me suis spécialisé en montage. Mais je ne voulais pas être catalogué en tant que monteur, vu que la réalisation m’intéressait déjà, et du coup j’ai enchaîné sur des courts-métrages, des films institutionnels, en alternant le personnel et l’alimentaire. Et j’ai commencé à écrire avec Mathieu ce projet de long-métrage.
FDC : Et toi Mathieu ?
Mathieu Gompel : J’ai également fait l’ESRA. On se voyait là-bas avec Vianney sans se fréquenter. J’étais – et je suis toujours – intéressé par la réalisation, mais, grosse erreur, je me suis spécialisé en production en troisième année. Parallèlement à ça j’écrivais, jusqu’à me spécialiser dans l’écriture théâtrale. J’ai également écrit un peu pour la télé, mais rien n’a abouti. Et un jour Vianney m’a parlé de ce projet…
FDC : C’était en quelle année ?
VL : Il y a cinq ans.
MG : En août 2008.
FDC : Un producteur était déjà intéressé ?
VL : Le film est né de ma rencontre avec le producteur Marc-Etienne Schwartz. On parle de cette idée, il me donne jusqu’à la fin de l’été pour lui proposer un traitement. Trois semaines avant la deadline, j’avais toujours pas écrit une seule ligne, et j’ai pris un café avec Mathieu. Je savais qu’il avait plus de méthode que moi. Trois semaines plus tard on avait un traitement qui valait ce qu’il valait, mais qui a donné envie à Marc-Etienne. Et avec Mathieu on s’est découverts à la suite de ça.
MG : Je suis retombé sur ce traitement. Sur ces trois semaines on avait déjà créé les deux tiers des personnages qui sont dans le film aujourd’hui.
FDC : Quelles sont les différences avec le film tel qu’il existe ?
VL : C’était une chronique qui se déroulait sur un an dans un centre de formation, et au lieu d’avoir un seul personnage principal, on en avait sept. On arrivait du point de vue d’Elmala, et on passait vingt pages successivement avec chacun des personnages. C’était un mélange entre Skins et Entre les murs, quelque chose de très réaliste, mais on n’avait pas encore l’élément de la malformation cardiaque.
MG : On était plus inscrit dans du « cinéma d’auteur ». Une véracité presque documentaire. L’envie du film a évolué vers une dramaturgie plus forte, car on avait ce souhait d’un film généreux avec le spectateur, de capter son attention.
FDC : Très concrètement, comment travailliez-vous ensemble ?
VL : Au début on partageait tout. On était dans la même pièce ensemble, avec deux ordinateurs, et du coup on écrivait très vite. Au fur et à mesure on s’est dispatché les séquences, à partir de la version 3 et jusqu’à la version 7, celle qui a été tournée.
FDC : L’idée de la malformation cardiaque, c’est venu de qui ?
MG : C’était présent dans la V2 sur le personnage de Roger.
VL : Entre la version 2 et la version 3 il s’est écoulé un an, et un désamour est né entre le scénario et moi pendant ce temps-là. Je me retrouvais plus dedans.
MG : Tu voulais plus le faire.
VL : On s’est dit « Qu’est-ce qu’on doit changer pour qu’on l’aime à nouveau ? », et du coup on a tout cassé. Il nous fallait un vrai enjeu de cinéma. Un héros avec une vraie trajectoire qui fasse vibrer le spectateur. La malformation cardiaque était une mini-intrigue, et on en a fait l’enjeu principal. Ça densifiait le côté dramatique et ça donnait au film un écho plus universel.
MG : Vianney voulait raconter le parcours de JB (le héros, incarné par Paul Bartel – NDLR), mais du coup le foot était un peu laissé de côté. Il fallait donc réconcilier ces deux envies : le centre de formation d’un côté, et de l’autre le récit initiatique de JB, ses origines rurales, le choc des cultures, l’histoire d’amour.
FDC : Ça s’appelait déjà Les Petits princes ?
VL : C’est un titre qui est apparu assez tôt, dès la deuxième version.
Attention, le paragraphe suivant dévoile une partie de la conclusion du film
FDC : Et l’épilogue ambigu sur le destin de JB ?
VL : A partir du moment où est apparue la malformation cardiaque, il y a eu cette fin-là. On n'a jamais voulu le faire mourir.
MG : On avait utilisé l’idée des cartons assez tôt pour donner des statistiques sur le nombre de jeunes issus des centres de formations. Maintenant c’est devenu un dialogue. Mais les cartons sont restés pour montrer que c’est difficile, que tous les personnages ne sont pas devenus pros, certains finissent en CFA…
Fin du spoiler
FDC : Et quand est intervenue la version du scénario pour le financement ?
VL : C’était la troisième. On a commencé à avoir de très bons retours de lecture. Canal Plus a été rapidement emballé par le scénario en 2011. Un gros distributeur a failli nous suivre mais nous a lâchés au dernier moment, et les retours suivants pointaient des manques. Donc on a réécrit une version 4 vraiment meilleure pendant l’été pour répondre à toutes les problématiques : on nous disait que c’était mon premier film, que c’était impossible de filmer le foot, que les personnages des adultes étaient en dessous… C’est avec cette version-là que les financements ont été trouvés.
FDC : Et l’Avance sur recettes ?
VL : J’avais jamais rien eu du CNC, ni l’aide à la réécriture, ni même un encouragement. J’avais le sentiment qu’on n’était pas suffisamment « auteur » pour eux. Mais lorsqu’on a passé l’oral pour l’Avance, on a eu des retours très chaleureux.
MG : En février 2012, la même semaine, on a eu l’Avance sur recettes, et la région Île-de-France.
VL : Les gens autour du film hésitaient, et une fois que le CNC a montré la voie, ça a lancé la suite.
FDC : Et pour ce qui est du casting ?
VL : Je voulais faire un casting sauvage dans les clubs de foot. J’ai dû voir à peu près 200 joueurs… et il y en avait peut-être trois qui m’intéressaient. Le directeur de casting a suggéré de rencontrer plutôt des acteurs qui avaient un passé dans le foot. On fait pas un film sur le patinage artistique, donc y a pas mal de gamins qui y ont déjà joué. J’ai eu de la chance car le niveau de foot n’est jamais rentré dans la balance. A chaque fois, le comédien que je voulais avait suffisamment de bagage technique pour intégrer l’équipe.
FDC : Et pour les adultes ?
MG : On a créé le personnage de l’assistant du coach car c’est le seul qui peut avoir un lien personnel avec JB, et on l’a écrit pour Reda Kateb, énorme acteur qu’on aime tous les deux, et le personnage s’est même appelé « Reda » jusqu’à quelques semaines du tournage. Pour le rôle du coach, qui était à la base un mec d’Europe de l’est, avant de devenir un français d’une autre génération, Eddy Mitchell s’est montré intéressé. Pour ce qui est du père, il s’est longtemps juste appelé « Le père ». C’est lorsqu’on lui a donné un nom qu’on a pu commencer à lui donner une personnalité. Et Olivier Rabourdin est un super acteur.
VL : J’ai rarement des comédiens qui me tapent dans l’œil. Mais ces dernières années, parmi les seuls que j’avais remarqués figuraient justement Reda Kateb et Olivier Rabourdin. Et la figure d’Eddy Mitchell venait compléter le tableau, apporter le regard d’une autre génération qui voit la société changer, et fédérer deux France qui ne se parlent pas trop.
FDC : Il n’y a jamais eu de pression pour caster des gens plus connus ?
MG : Il y a eu la volonté chez les financiers à un moment d’aller vers un casting plus populaire. Mais c’est l’intelligence du producteur Marc-Etienne Schwartz et de Vianney d’avoir tenu bon, quitte à mettre en danger le film.
FDC : Combien de semaines de tournage et quel budget ?
VL : Le film coûte 3.7M€. Et 44 jours de tournage, neuf semaines, ce qui est bien pour un premier film. C’est un petit film mais il y a quand même du sport, de la figuration, des gamins… Ça a un coût.
MG : En prépa, le premier assistant a estimé le film à 12 semaines de tournage.
VL : On a quand même dû couper 19 pages. Mais ça a vraiment amélioré le film, en nous obligeant à nous focaliser sur l’essentiel. Même pendant le tournage je me suis retrouvé à ne pas tourner des scènes qu’on estimait redondantes.
MG : A l’origine on traitait l’arc des personnages secondaires plus en profondeur, mais on s’éparpillait un peu.
FDC : Mathieu, tu es venu sur le tournage souvent ?
MG : J’ai dû venir une dizaine de fois. Une ou deux fois par semaine.
FDC : T’as été amené à réécrire en urgence sur le tournage ?
MG : Non. Vianney a réécrit sur l’instant du tournage, il a trouvé des pépites. J’ai dû regarder un truc ou deux, mais Vianney naviguait dans le projet assez aisément.
FDC : Et toi Vianney, comment tu as vécu les 44 jours ?
VL : Assez étonnamment, très bien. J’étais beaucoup plus stressé pendant la prépa, avant qu’on ne soit sûrs que le film se fasse. Mais quinze jours avant le tournage, lorsqu’on a été sûr de faire le film, j’ai été totalement libéré.
MG : Il y a eu des problèmes de décor pendant tout le tournage et Vianney est resté stoïque.
VL : Même des problèmes de casting. Le rôle de Lila a été casté dix jours après le début du tournage. Mais j’étais tellement heureux de pouvoir faire mon film, que tout ce qui pouvait m’arriver c’était pas grave. Et on avait une équipe qui savait s’adapter aux problèmes, d’autant plus que je connaissais tellement bien l’histoire que je savais gérer les éventuels sacrifices à faire. Du coup le tournage s’est très bien passé. Je dormais super bien, le week-end je faisais autre chose. Je ne voulais pas être en souffrance pendant neuf semaines. Ma seule obsession c’était l’instant T : la séquence sur laquelle j’étais. C’était inutile de penser à trois jours dans le futur, vu que souvent c’était même pas encore calé.
FDC : Dans l’équipe technique, tu avais déjà tourné avec qui ?
VL : Mon premier assistant, qui avait fait mes courts-métrages. Il m’a protégé de tous les problèmes.
FDC : Tu es du genre à faire beaucoup de prises ?
VL : Pas excessivement, non. Ça allait rarement au-delà de huit prises. Ça faisait partie des conseils de Luc Besson d’ailleurs : « Ne fais pas forcément trop de prises mais multiplie les plans».
FDC : Comment as-tu choisi de filmer le foot ?
VL : Dès l’origine du projet je savais comment je voulais le filmer. J’avais une caméra principale portée sur le terrain, mais il fallait être cohérent. Même quand j’avais envie de filmer sur le terrain, si JB est sur le banc, je dois filmer de son point de vue. Je voulais en tout cas éviter une grammaire déjà vue : pas de plans sur un arbitre, pas de plans sur un tableau d’affichage, et faire l’inverse de ce que fait la télé, donc être proche des joueurs. J’aurais adoré faire des scènes beaucoup plus spectaculaires, mais on n’avait pas le budget ni le temps.
FDC : Tu mentionnais Luc Besson. De manière très concrète, qu’est-ce qu’il a apporté ?
VL : Par rapport au casting, on a senti qu’il nous encourageait à tenir jusqu’au bout. Dès le premier rendez-vous il nous a mis en confiance : j’étais libre de faire le film que je voulais. Après, Luc Besson est juste venu voir le film au montage. Il m’a dit ce qu’il trouvait super, ce qu’il trouvait moins bien… « Réfléchis à ce que je te dis, essaie des choses, on s’en reparle la semaine prochaine ». On était dans un partage, il ne m’a rien imposé. Les quelques heures que j’ai passées avec lui en salle de montage étaient passionnantes car il a un œil de montage impressionnant. Il regarde un quart d’heure, il fait stop, il revient : « Là tu vois, t’as trois ou quatre images que tu peux enlever ». Il est très bon sur le rythme et sur ce que perçoit le spectateur. Il a mis le doigt sur des petites choses qui ont amélioré l’efficacité. Il y a quelques scènes qu’il voulait supprimer, mais je n’étais pas obligé de le faire et je ne l’ai pas fait. Il était toujours bienveillant, d’où le remerciement au générique.
FDC : Et toi Mathieu, tu es venu au montage ?
MG : Vianney m’a fait venir assez tôt voir le premier ours du montage, qui durait 2h20. Il y avait à boire et à manger. Plus tard j’ai vu un montage d’1h45 qui m’a beaucoup plu, mais qui était plus « auteur ».
FDC : En quoi ?
MG : Je crois qu’ils prenaient un peu trop le temps, pour rentrer dans les scènes par exemple.
VL : C’était pas grand-chose.
MG : Il y a eu ensuite une avant-dernière version avec des coupes « à la hache » car Vianney et Claire (Fieschi, la monteuse – NDLR) testaient les manques du film.
VL : On y est allé. C’était radical. Et Mathieu devait nous dire quelles coupes fonctionnaient ou pas. Au final le film est très fidèle au scénario. Les financeurs étaient heureux de retrouver leurs émotions du scénario au même endroit dans le film final. J’ai pris ça pour un compliment.
FDC : Vous avez fait des projections-test ?
VL : On a montré un montage à une classe du lycée dans lequel on a tourné. On a fait un questionnaire et on a parlé deux heures avec eux. Leurs retours étaient assez surprenants : ils ont été choqués par un plan des fesses de Paul Bartel qui suggérait la pénétration. « Moi j’ai un petit frère et j’ai pas envie qu’il voit ça ». C’est étonnant d’entendre ça dans la société dans laquelle où on vit, où le porno a une place conséquente. On a coupé ce plan, mais fondamentalement rien n’a changé. Ça nous a surtout confortés dans nos choix.
FDC : Est-ce que tu as des regrets aujourd’hui ?
VL : Je n’ai pas de regrets fondamentaux. Je me suis beaucoup concentré sur les comédiens, et par conséquent il y a des séquences où je suis moins content de la mise en scène. J’aurais pu aller parfois vers une mise en image plus « visible ». Mais je ne regrette pas ce choix, car l’important c’était la cohérence de l’évolution des personnages, l’émotion.
FDC : On est à douze jours de la sortie. La plupart des retours sont positifs, non ?
VL : Oui, très. On espère un bon bouche à oreille.
FDC : Quelles sont les attentes en terme d’entrées de la part d’Europa ?
VL : L’objectif c’est de faire plus de 200 000. Ça peut paraître peu, mais je crois que 60% des films font moins de 50 000 entrées… On espère toujours plus, mais on préfère avoir un objectif raisonnable.
FDC : Et pour la suite ?
MG : Pour l’instant, Vianney a besoin d’accompagner le film et en profiter aussi. Après on verra.
VL : On a commencé plusieurs écritures, on teste des pistes différentes. On aimerait partir sur quelque chose de plus ambitieux, excitant pour le grand public, mais en gardant les qualités des Petits princes. C’était un sujet personnel, et je ne veux pas faire l’erreur de parler de quelque chose que je ne connais pas.
Propos recueillis par Liam Engle le 14 juin 2013