Entretien avec Thomas Arslan

Entretien avec Thomas Arslan

Gold a été l'une des surprises de la dernière compétition de la Berlinale. Ce western minimaliste et hypnotique met en scène la géniale Nina Hoss en chercheuse d'or. Le réalisateur allemand Thomas Arslan s'est longuement entretenu avec nous.

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FilmDeCulte : Quel a été le point de départ de Gold ?

Thomas Arslan : Tout a commencé quand je suis tombé sur des photographies représentant des gens qui se sont lancés dans cette ruée vers l’or. Puis des lettres, des journaux intimes. J’ai trouvé ça très attirant. Puis je me suis plus particulièrement intéressé aux immigrants allemands. C’était une connexion, en tant que réalisateur européen, pour raconter cette histoire. Cette histoire de ruée vers l’or semble si lointaine, et en même temps ces immigrants étaient une façon de se projeter là-dedans. J’ai fait beaucoup de recherches et j’ai construit une histoire à partir de ces détails.

FDC : Il y a beaucoup d'éléments de Gold qui m'ont fait penser à L'Ecole de Berlin. Le minimalisme de l'histoire, le traitement réaliste mêlé à quelques touches de fantastique, le fait que vos héros soient des personnages en fuite ou des personnages qui disparaissent. Et puis il y a Nina Hoss. Quel est votre rapport à L'Ecole de Berlin, pensez-vous que Gold en soit proche d'une certaine manière ?

TA : Je pense qu’il est plus facile de le voir pour vous que pour moi ! Ce que vous dites est intéressant et je suis prêt à vous suivre, mais j’avoue ne pas avoir pensé à mon projet en ces termes. J’ai pensé à faire mon film de la meilleure façon, à adapter au mieux la mise en scène à mon récit et à l’atmosphère. Est-ce proche de l’Ecole de Berlin ou pas ? Je pense que vous aurez un meilleur point de vue que moi sur la question. Après, le point de vue sur l’Ecole de Berlin en France et en Allemagne est un peu différent. Les films réunis sous ce « label » ne sont pas vus, en Allemagne, comme aussi proches les uns des autres. Mais j’aime, dans ces films, la façon dont la réalité n’est pas déformée, tout en n’étant pas du pur réalisme au premier degré. Cela permet d’explorer un certain état psychique, sans avoir forcément à appuyer les choses, avec des effets de photographie par exemple.

FDC : Le personnage interprété par Nina Hoss est très mystérieux. On sait peu de choses de son passé, elle est quelque peu hors du groupe. Il y a quelque chose de fantomatique dans son personnage. Tout cela m'a rappelé les personnages qu'elle interprète chez Christian Petzold par exemple, où elle est littéralement un fantôme dans Yella. J'ai beaucoup aimé le fait de remplir les trous laissés autour du personnage d'Emily par l'imaginaire lié à Nina Hoss et les personnages qu'elle a incarnés avant. Est-ce juste un fantasme de ma part ou y avez-vous pensé ?

TA : Non c’est tout à fait juste, chaque acteur porte en lui quelque chose de ses précédents films. Concrètement, j’ai pensé à un schéma de western, avec un héros solitaire qui vient de nulle part, et j’ai voulu jouer avec cela en prenant une femme pour jouer ce rôle. Effectivement on en sait peu sur elle, quelques informations sont divulguées : elle a fait le voyage d’Allemagne jusqu’aux Etats-Unis, son existence n’a pas été vraiment dans le sens qu’elle avait imaginé et elle ressent le besoin de passer à une autre étape pour repartir dans la vie. Pour moi ce n’était pas tant une envie de créer du mystère, c’était une façon de se connecter à l’histoire. Au début les personnages parlent un peu mais plus le voyage dure, plus il devient difficile, moins ils parlent. Ils sont exténués et c’est normal. Là c’est quelque chose de très concret et pas métaphorique.

FDC : On a déjà vu des femmes fortes dans des westerns mais Emily reste un type d'héroïne un peu différent. Était-ce une motivation particulière au moment d'écrire votre scénario, d'avoir un tel personnage principal ?

TA : Oui et c’était intéressant parce que pour moi, écrire un personnage féminin, c’est plus difficile. C’était un plus grand défi. C’est une femme qui arrive dans ce groupe, elle est, comme vous l’avez dit tout à l’heure, une outsider, et un autre type d’outsider qu’un homme. Comment doit-elle se comporter dans le groupe ? J’ai trouvé beaucoup d’histoires de ce type dans des journaux intimes. C’était très intéressant de voir comment ces femmes géraient de telles situations, de voir la force qu’il leur fallait pour s’en sortir.

FDC : Le décor, les paysages jouent un rôle dans Gold. Quelles questions se sont posées entre vous et votre chef opérateur au sujet des choix esthétiques pour votre film ?

TA : On a regardé beaucoup de films, on s’est aussi inspiré des peintures de Frederic Remington. En ce qui concerne le cinéma, on s’est penché sur cette espèce de sous-genre de western où l’on suit un long parcours d’un point A à un point B, comme il y en a chez Raoul Walsh (La Piste des géants par exemple). On s’est inspiré de Monte Hellman également. Tout cela m’a aidé à concevoir le film.

FDC : J'ai lu qu'un film comme Délivrance vous avait également servi. Y'a t-il d'autres films hors westerns qui ont eu une influence sur vous pour faire Gold ?

TA : Tout à fait. Il y a par exemple Sans retour de Walter Hill. C’est un film que j’aime beaucoup et qui n'est pas un western.

FDC : Vous avez déclaré que vous aimiez 'montrer des gens à la recherche de quelque chose, et l'impact physique de cette quête'. C'est une des réussites de Gold: le fait qu'on ressente concrètement la fatigue éprouvée par les personnages. Pouvez-vous nous en parler ?

TA : Pour moi c’était un des problèmes essentiels de l’histoire. C’était une des difficultés pour les acteurs aussi. Il fallait exprimer visuellement cet épuisement. C’est ce qui finit par tout dominer dans ce voyage. Pendant le tournage, je n’ai pas vraiment eu à en parler avec mes acteurs. Parce qu’on a tourné chronologiquement, et petit à petit ils étaient eux-mêmes complètement crevés. C’était un travail physique impressionnant et cette question de départ est devenue très concrète.

FDC : Quelle a été la principale difficulté sur le tournage ?

TA : J’ai l’habitude d’explorer longuement les lieux que je vais filmer, d’y revenir régulièrement. Ce n’était pas possible ici, c’était trop lointain et trop compliqué. Rien à voir avec explorer des décors à Berlin. Après, il fallait savoir y faire avec les chevaux, ce qui n’était pas évident ni pour moi ni pour les acteurs. Il m’a fallu beaucoup de temps pour m’habituer à ça, à réussir à être précis dans mes cadrages, à gérer cette chorégraphie malgré ces difficultés.

FDC : Avez-vous envisagé de ne pas mettre de musique dans votre film ?

TA : Non, la décision a été prise très tôt. Je dois dire que je n’aime pas trop quand la photographie déforme trop la réalité. Et, dans une certaine mesure, la musique peut déformer, changer une scène, mais sans toucher à l’image. Je voulais qu’elle exprime cet aspect de transe qui s’installe peu à peu lors du voyage. C’était pour moi partie intégrante de l’atmosphère du film.

FDC : Gold évoque quelques néo-westerns qui ont pu être faits ces dernières années, comme La Dernière piste de Kelly Reichardt. Avez-vous vu ces films ?

TA : J’ai commencé ce projet avant de voir La Dernière piste, mais je l’ai effectivement vu. Je l’ai aimé. C’est un film qui se déroule quelques décennies avant le mien, du coup les personnages sont assez différents. Il y a évidemment des similarités mais le contexte est différent. Les personnages de Gold sont plus proches du monde moderne, on est au tournant du XXe siècle alors que La Dernière piste se déroule en 1840.

FDC : Comment produit-on un film comme Gold ? Son budget n'est que de 2 millions d'euros, ce qui semble très peu pour un tel film.

TA : Oui c’était vraiment pas beaucoup ! Mais on a décidé de tourner comme ça, sinon il aurait fallu attendre encore pour espérer peut-être obtenir plus d’argent. Alors on y est allé. Il a fallu faire des compromis, c’était dur, mais on s’en est sorti ! L’équipe était relativement restreinte, on a parfois dû improviser, mais le film est là.

FDC : Vos précédents films ont presque tous été présentés dans la section Forum de la Berlinale. Celui-ci était en compétition. Quel a été l'impact de la présence de Gold dans la compétition principale ?

TA : On va voir, je ne sais pas encore exactement. Il y a beaucoup plus d’attention sur un film en compétition dans un tel festival. C’était aussi problématique pour quelques critiques allemands. Gold était le seul film allemand en compétition et certains d’entre eux ne sont pas très fans de L’Ecole de Berlin. Et ils étaient du coup très en colère que le seul film allemand soit plus ou moins proche de L’Ecole de Berlin. Mais ça a été un moment intense, beaucoup de gens ont vu le film. Pour l’effet, on verra ! Le film sort d’abord en France donc on aura un premier indice.

FDC : J'ai le sentiment que la majorité des meilleurs films allemands de ces dernières années ont été montrés à Berlin. Je pense aux films d'Ulrich Köhler, Maren Ade ou Christian Petzold par exemple. En quoi est-il important pour un cinéaste allemand de montrer son film à la Berlinale ?

TA : Je ne dirais pas qu’il est nécessaire pour un réalisateur allemand de montrer son film à la Berlinale. J’adorerais aller à Cannes aussi. Mais c’était, pour le producteur et moi, compliqué de rejeter une invitation en compétition à la Berlinale. Cannes prendra son temps, il faudra attendre et on ne peut pas savoir. Si le film est prêt et est invité à Berlin, c’est dur de prendre le risque d’attendre Cannes pour être finalement rejeté. Peut-être qu’il faudra que je prenne ce risque une autre fois !

FDC : Avez-vous un nouveau projet ?

TA : Oui, mais je n’en suis qu’au tout début donc c’est compliqué d’en parler tout de suite. Je travaille dessus !

Entretien réalisé le 18 juin 2013. Un grand merci à Karine Ménard et Laurence Granec.

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par Nicolas Bardot

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